Faure Gnassingbé aura-t-il le courage d’annuler la procédure et le procès?

L’affaire Kpatcha Ganssingbé et le scandale du rapport de la CNDH sur la torture


« La CNDH se fera fort de faire le suivi de ces recommandations et de veiller à ce qu’elles soient mises en œuvre » a confié à nos confrères de Savoirnews Me Sylvain Attoh-Mensah, l’un des membres de la commission qui a rédigé le rapport à scandale. Une telle affirmation suppose que le plus dur commence peut-être pour le gouvernement de Faure Gnassingbé et de Gilbert Houngbo. Il lui faudra mettre en œuvre les recommandations du rapport et par delà tirer les conséquences juridiques de la pratique des tortures au cours des interrogatoires. Faure Gnassingbé pourra-t-il dès lors avoir le courage de faire revenir sur le procès qui a condamné des citoyens à 20 ans de prison et fait réformer d’autres ? Défi de modernité et de lutte contre l’impunité de même que de promotion des droits humains.

Scandale et ignominie

Pendant longtemps, le Togo se rappellera le scandale du rapport de la commission nationale des droits de l’homme (CNDH) sur les accusations de torture dans l’affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Les Togolais se rappelleront longtemps que, malgré les proclamations et les déclarations d’intentions quotidiennes des gouvernants, la réalité est tout autre. Autrement, on n’aurait pas eu la mauvaise inspiration de tronquer la réalité en tentant d’abuser de la crédulité des citoyens.

C’est désormais connu donc que le rapport demandé par le gouvernement sur les accusations de torture s’est révélé un cas de scandale juridique et politique. Un premier rapport découvert sur le site du gouvernement puis relayé par republicoftogo.com a tenté d’établir que les plaintes de torture élevées par différents prévenus sont nulles et infondées. Selon ce rapport qui n’a pas pu tirer un trait sur les traitements infligés auxdits prévenus, il n’y a pas de raison suffisante pour dire qu’il y a torture au Togo.

Qu’à cela ne tienne, a choisi de dire la CNDH, notamment son président Koffi Kounté. Disparu aussitôt que le moment était arrivé de rendre public le rapport, on l’a retrouvé à Paris où, après un entretien avec des diplomates au ministère français des affaires étrangères, il a demandé protection et asile, M. Kounté a indiqué sans ambages que le rapport publié sur les sites officiels ne sont pas justes et qu’il a été « obtenu sous menaces ». Le vrai rapport alors ? On le trouve sur le site officiel de la commission et on le présente comme étant « la version authentique » pendant que le premier est dit « travesti ».

Scandale et ignominie. La société civile et la presse réaliste crient au scandale. Des mots très durs ont été balancés çà et là de sorte que le gouvernement a trouvé opportun de réaffirmer sa bonne foi en tentant de brouiller les pistes soutenant que c’est le rapport qui lui a été transmis qu’il a publié. De toutes parts, les pressions et les condamnations fusent. L’Union européenne dont une mission officielle était en visite sur le territoire national, la France et d’autres associations internationales de protection des droits humains, Amnesty International, la FIACAT, ACAT-France et la FIDH, ont demandé des clarifications et des explications.

Face à la pression internationale et surtout à la rigueur des membres de la CNDH restés sur place et qui n’ont pas marchandé la vérité et leur honneur, le gouvernement recule, demande à son tour des clarifications à la CNDH. Celle-ci lui remet alors la version authentique du rapport avec la promesse de suivre la mise en œuvre des recommandations.

Une procédure nulle, selon le droit

Une fois que les dénonciations, les appels et la rigueur des uns et des autres ont abouti à faire triompher la vérité du vrai rapport, un nouveau combat commence pour les citoyens et pour les associations de défense des droits humains. Ce combat porte sur la mise en œuvre des recommandations contenues dans le rapport et davantage sur les conséquences juridiques de la véracité des tortures dans la procédure sur le procès de septembre 2011.

Effectivement, dans le rapport dit « authentique », il y a une batterie de recommandations envoyées au gouvernement et dont la commission dit qu’elle veillera à sa mise en œuvre. « Afin d’éviter cependant que les actes (…) ne se répètent, la commission recommande au gouvernement de faire prendre les mesures suivantes » annonce le rapport qui dresse ensuite la liste desdites recommandations. Entre autres, le gouvernement de Faure Gnassingbé, de Gilbert Houngbo et de Gilchrist Olympio, dans une moindre mesure,  doit « prendre des sanctions exemplaires à l’encontre de toutes les personnes ayant participé directement ou indirectement à la commission des actes incriminés », de « procéder à une juste réparation des victimes », de « limiter le pouvoir de l’Agence Nationale de Renseignements aux missions d’interpellation et d’investigation en confiant la détention à une structure des forces de sécurité », de procéder à la révision du Code Pénal afin d’y ériger la torture en infraction pour asseoir une  base légale de poursuite judiciaire pour les actes à venir ».

A première vue, ces quelques recommandations sont loin d’être du pain béni pour Faure Ganssingbé et les siens. Ne serait-ce que par exemple la recommandation qui demande que les personnes impliquées à divers niveaux soient sanctionnées, il faudra du courage et de la témérité pour la mettre en œuvre. Pour avoir demandé eux-mêmes le rapport, Faure Gnassingbé et Gilbert Houngbo sont obligés d’en respecter le contenu et de mettre en œuvre les recommandations. Autrement, on aura une fois encore la preuve que dans le pays les discours sont chose facile mais la pratique reste un bien de luxe.

Faure Ganssingbé a peut-être une grosse équation à résoudre. Si tant est que sur la foi du contenu du rapport authentique, des officiers très proches du président sont cités parmi les commanditaires et acteurs des tortures dans les différents lieux de détention. Il lui faudra notamment désavouer des hauts gradés qui se cachent derrière son autorité pour narguer les Togolais et toutes les lois républicaines. C’est un défi à relever maintenant que les yeux de toute la république et de la communauté internationale sont braqués sur le pays. Un pays qui préside les sessions du Conseil de sécurité ne peut pas se permettre de torturer ses citoyens et de protéger les présumés tortionnaires. L’enjeu est là, le défi aussi.

Par-dessus tout, Faure Gnassingbé semble pris au piège de la légalité. Etant donné que dorénavant avec le rapport de la CNDH tout le monde sait que différents prévenus dans l’affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat ont été interrogés sous la torture et que leurs déclarations ou aveux ont été obtenus par les moyens de la torture, c’est tout le processus qui est remis en cause. Différents juristes ont ainsi démontré que, selon toutes les lois en vigueur, selon les traités internationaux sur la torture, lorsque dans une procédure judiciaire, il se révèle que les aveux ont été extorqués sous la torture, on annule tout. Du procès aux verdicts prononcés, tout devient nul et de nul effet, cela s’applique pertinemment à l’affaire Kpatcha Gnassingbé et au procès qui s’est ensuivi avec les lourdes peines de 8 à 20 ans de prison. Conséquence immédiate : Kpatcha Gnassingbé, Casimir Dontéma et les autres se retrouvent en situation d’innocence simplement parce que la procédure devient nulle, le procès aussi. Ils doivent être élargis et dédommagés. Auront-ils cette chance ? La question n’est pas petite car dans le pays qu’on appelle Togo, les choses ne se passent pas toujours comme il faut.

Corriger l’erreur

Dans la situation actuelle, Faure Gnassingbé est au pied du mur, il a dos au mur. Pour lui point d’issue surtout parce que c’est tambour battant qu’il président les sessions de l’assemblée générale des nations unies. A moins de montrer au monde le visage d’une saisissante contradiction d’un pays dont on salue les efforts de protection en le portant au sein du Conseil de sécurité et qui au vu et au su de tout le monde affiche son état réflexe  d’Etat incorrigible et indigne de confiance, il doit réagir promptement.

Pour les citoyens ordinaires et pour les organisations de défense des droits humains, il n’y a pas autre chose à faire que de rapporter le procès, de libérer les détenus et de les dédommager purement et simplement. Les uns et les autres attendent de voir si Faure Gnassingbé peut mettre à l’œuvre ses prétentions de modernité et d’esprit nouveau. L’erreur est humaine, le pouvoir et la justice peuvent s’être trompés en arrêtant et condamnant à de lourdes peines de prison Kpatcha Gnassingbé et co-accusés mais dès qu’il est établi que c’est une erreur, le bon sens recommande qu’on ne persévère pas dans l’erreur. Le moment est idoine pour Faure Gnassingbé de frapper un grand coup en désavouant les tortionnaires et en faisant annuler le procès Kpatcha Gnassingbé. Selon ce qu’il fera, les citoyens jugeront de sa bonne foi et de sa capacité à instaurer un Etat de droit et de modernité. A lui de jouer.

Nima Zara

Le Correcteur N° 324 du 27 février 2012