Et si la mort pouvait frapper partout au Togo ?
Le philosophe allemand Martin Heidegger semblait avoir pensé pour le Togo quand il disait : « Tout homme qui naît est assez grand pour mourir, et le risque de la mort se profile à l’horizon de tout nos possibles. »
Le Togo n’en finit pas de compter ses morts. Après Sinandaré et Douti, tombés sur le champ de bataille, c’est au tour d’autres citoyens de passer de vie à trépas. Depuis trois jours, on parle de la mort en détention d’Etienne Yakanou, arrêté dans la ténébreuse affaire des incendies des marchés. Il a crevé dans les geôles de la gendarmerie nationale. Sans doute, les conditions de détention et les mauvais traitements sont à l’indexe dans ce décès. Le parti du défunt, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) n’est pas allé par quatre chemins pour dénoncer l’assassinat de son militant. En fait d’assassinat, c’en est un, d’autant plus que le regretté Etienne Yakanou est mort pendant qu’il se trouvait entre les mains des autorités. A supposé qu’il était déjà malade, pourquoi ne l’avait-on pas fait subir à temps des soins pour lui épargner ce triste sort ? Et pourquoi l’avoir maintenu en détention alors qu’il était souffrant ? Que lui reproche-t-on concrètement, en dehors des inculpations fantaisistes dans l’affaire des incendies ? A ce jour aucune preuve tangible n’a été brandie pour conforter les accusations selon lesquelles les cadres du Collectif Sauvons le Togo (CST) sont les auteurs des incendies des marchés. La responsabilité de l’Etat se trouve engagée dans la mort d’Etienne Yakanou. Un mort de plus, un mort de trop, après ceux des jeunes élèves de Dapaong, pleurés dans tout le pays.
La mort n’est pas que sur le terrain de la résistance contre la dictature, elle est aussi à la maison, à l’hôpital et partout. Elle guète les résistants comme les résignés ; ceux qui se protègent et se cachent. La mort est partout et surtout dans la carence du système sanitaire togolais. Elle vient de frapper un de nos rédacteurs et secrétaire de rédaction de notre journal, Edoh Sévérin Tchaklidji a fait un AVC (Accident Vasculeux-Cérébral) avec hémorragie, le vendredi 3 mai 2013, et est mort le samedi 11 mai subséquent. Les médecins du CHU Sylvanus Olympio ont prévenu parents et amis dès que le patient, transporté dans un état comateux, a été passé au scanner : ce cas ne peut pas être soigné chez nous. Le patient a besoin d’une intervention chirurgicale délicate qui nécessite qu’on lui ouvre la tête ; il faut l’évacuer en Europe. Edoh Sévérin Tchaklidji, sauf miracle, était condamné à mourir.
Cette mort qui ne ressemble pas à celle du militant de l’ANC, et moins encore à celles des élèves de Dapaong, nous rappelle que le risque de la mort se trouve dans la faillite de l’Etat. Les élèves de Dapaong n’auraient jamais manifesté s’il n’y avait pas de problème dans le pays. Ils n’auraient pas été assassinés si les forces de l’ordre étaient formées et éduquées à respecter la vie des citoyens. Le militant de l’ANC ne serait pas mort si la gendarmerie et la justice étaient au service de la nation et défendaient le droit et non le régime. Edoh Tchaklidji ne serait peut-être pas mort si le Togo avait un système sanitaire performant. La mort est partout et se trouve dans la faillite de l’Etat.
Fulbert SASSOU ATTISSO
La Cause de la Nation N° 010 du 13 mai 2013