Nouvelle invitation au dialogue politique
Nouvelle tentative, nouveau fiasco en perspective
A l’allure où vont les choses, Arthème Ahoomey-Zunu, le Premier ministre de Faure Gnassingbé, se retrouvera dans la situation inconfortable d’inviter les partis de feu Vidada et de Thomas Nsoukpoé pour des discussions dans le cadre du dialogue politique. Une seconde invitation envoyée aux presque mêmes acteurs, des « non, merci » en majorité, voilà le tableau qui, à moins d’un miracle, qui va se présenter ce jour. A l’évidence, le pouvoir de Faure Gnassingbé doit encore revoir sa copie et mettre en confiance ses interlocuteurs. Ceux-ci ne semblent pas vouloir transiger sur leurs préalables. Embouteillage politique.
Nouvelle invitation, nouvelle formule
En envoyant des invitations pour un dialogue ce jour à la Primature, Arthème Ahoomey-Zunu essaie peut-être une seconde carte. D’antan, il avait choisi d’inviter les regroupements récents notamment la coalition Arc-en-ciel, le collectif Sauvons le Togo et des partis plutôt habitués au cérémonial. Naturellement, ceux-là ont été les seuls à répondre à son invitation. Sans qu’on sache pourquoi, voici que le Premier ministre initie une nouvelle formule. Les acteurs de l’Accord Politique Global (APG) sont les nouveaux élus.
A y voir de près, le Premier ministre s’est résolu à relancer le reliquat dr l’APG ; instruit du fiasco de la précédente invitation, il lui a été suggéré – intimé ?- l’idée de rappeler les partis membres du cadre de cet accord. C’est ce qui peut expliquer sans doute l’adjonction aux invités des deux associations dites de la société civile le GF2D et le REFAMP. Une question naturelle : est-ce parce que M. Ahoomey-Zunu et son patron pensent qu’en recourant au cadre de l’APG, ils réussiront à remettre le train du dialogue politique sur les rails ? Rien n’est moins sûr, étant entendu que, selon différents observateurs, c’est une manœuvre qui répond à la volonté du pouvoir de contourner le CST et de le mettre en quarantaine. Si les politiques trouvent un consensus sur les questions électorales, de quoi pourrait se fonder encore le CST pour justifier ses activités ? C’est peut-être la question qui motive le choix de la nouvelle liste d’invitation. Tout porte à croire que tous ces calculs ont toutes les chances de s’avérer futiles.
Un concert de « non, merci »
Comme si c’était un déterminisme, la nouvelle offre de dialogue du Premier ministre « tombe en rebut ». La CDPA, l’ANC, le CAR et OBUTS ont déjà dit qu’ils ne sont pas intéressés par un dialogue, dans les conditions actuelles.
La CDPA, en ce qui la concerne, a décliné sans hésiter l’invitation à dialoguer. Selon un communiqué rendu public par le parti, les conditions ne sont pas favorables à un dialogue politique, tel que le parti l’entend. Le communiqué ne comprend pas que le gouvernement ait choisi de contourner les deux regroupements politiques actuels : « la CDPA s’étonne que, pour de telles discussions qui engagent l’avenir d’un pays en crise chronique depuis vingt- deux ans, le gouvernement n’ait pas cru devoir inviter les deux regroupements politiques de l’opposition en l’occurrence la Coalition Arc-en-ciel à laquelle elle appartient et le Collectif Sauvons le Togo ». De plus, la CDPA est déçue de ce que le gouvernement ne fait rien pour mettre en confiance ses adversaires et interlocuteurs, en leur envoyant par exemple un « signe fort » qui peut prendre la forme de sa volonté de « procéder à la limitation du mandat présidentiel avec effet immédiat ». Cette limitation du mandat présidentiel avec effet immédiat est d’ailleurs, précise le communiqué, « la principale préoccupation de la CDPA et de l’immense majorité des Togolais ».
De son côté, OBUTS d’Agbéyomé Kodjo n’ira pas au dialogue auquel le Premier ministre l’invite. Une lettre du président du parti adressée au Premier ministre indique que le parti « ne peut pas répondre favorablement ». Raison évoquée : OBUTS « considère que la démarche du gouvernement n’est pas aboutie et qu’il y a par ailleurs des préalables incontournables pour un dialogue sérieux, franc et sincère ». Dans ce sens, OBUTS pense que « le gouvernement doit donner le signe de sa bonne foi en faisant en sorte que les acteurs mis en cause dans le rapport de la CNDH soient sanctionnés et traduits devant les tribunaux, et que les recommandations du rapport de la CNDH soient appliquées dans toute leur totalité avec des actes concrets ».
Faisant la jonction avec le CST, le parti d’Agbeyomé Kodjo réclame « la mise en œuvre immédiate et progressive des recommandations de la CVJR », « la restitution du matériel roulant et des instruments de sonorisation saisis par la gendarmerie nationale lors des manifestations du CST des 12, 13 et 14 juin 2012 ». Par-dessus tout, OBUTS reprend à son compte l’exigence du « choix d’un médiateur international accepté par toutes les parties pour conduire la prochaine consultation politique qui devra se dérouler en présence de Faure Gnassingbé ».
L’ANC aussi
Le parti de Jean-Pierre Fabre n’est pas absent de ce concert e « non, merci ». Longtemps avant le CAR et la CDPA au sein de la coalition Arc-en-ciel, le parti orange avait pris une position vis-à-vis de la question du dialogue politique. Ayant été invité à plusieurs reprises, à la présidence comme à la primature, l’ANC a toujours brillé par son absence, mettant en avant des revendications ou des préalables, pour tout dire. Ces préalables vont de la restitution des matériels informatiques saisis au CESAL en mars 2010 au respect de la liberté d’expression et de manifestation des partis politiques en passant par la réintégration des neuf députés conformément à l’arrêt de la cour de justice de la CEDEAO et aux recommandations de l’Union interparlementaire.
Pour le dialogue annoncé, le parti de Jean-Pierre Fabre remet sur la table les mêmes conditions et préalables. Sans leur réalisation, il faut un miracle politique ou des garanties inaliénables pour que l’ANC soit présente ce jour à la Primature. En politique, rien n’est à exclure certes mais le contexte est tel que, pour les analystes, le parti de M. Fabre ne peut pas faire autre chose que de bouder, ne serait-ce que pour rester cohérent avec la ligne du CST dont il est l’un des membres majeurs. Sur une radio FM de Lomé, Patrick Lawson, 1er vice-président du parti n’a pas dit autre chose : « à l’ANC, nous ne sommes plus prêts à aller à un dialogue à n’importe quel prix, si les conditions d’un dialogue sérieux et sincère ne sont pas créées ».
Dialogue enrhumé
Du fait de ce concert de « non, merci », il n’est pas faux de dire que le Premier ministre Ahoomey-Zunu n’aura pas d’interlocuteurs valables ce jour pour entamer le dialogue. Faut-il en conclure aussitôt à un énième fiasco ? La tentation est très forte et il y a des raisons d’y céder. C’est sûr que l’UFC, le PDR, la CPP et d’autres partis se présenteront à la primature. Cependant, le problème politique du Togo réside-t-il dans leur escarcelle ? L’expérience récente a révélé que n’eût été la levée de boucliers du CST, le pouvoir de Faure Gnassingbé aurait déjà fait mettre en branle la machine des législatives sous le regard complaisant de ces partis dont la grande majorité font d’ailleurs partie de la majorité gouvernante. Participant au gouvernement depuis 7 ans pour certains et 2 ans pour l’UFC, ces partis ressortissent dorénavant en réalité au sérail et ne sont pas concernés par une invitation à dialoguer.
Il en résulte que leur présence ne sera ni une surprise ni un élément à considérer. Mieux ou pis, leur présence constitue un fait qui va mettre encore en relief l’absence des autres. Justement, par leur absence, l’ANC, le CAR, la CDPA et OBUTS enlèvent systématiquement toute crédibilité et tout intérêt à l’entreprise primatoriale. Revoir la copie est alors la seule alternative pour le gouvernement. Il ne sert à rien d’organiser des discussions sans que les vrais interlocuteurs, ceux qui par leurs positions et réclamations, sont incontournables dans la résolution du problème politique du pays. M. Ahoomey-Zunu n’a aucun intérêt à foncer tête basse dans un dialogue a priori enrhumé. La meilleure attitude est de prêter attention aux conditions posées par les vrais interlocuteurs afin de donner une chance au dialogue national. Toute autre attitude est vouée à l’échec, à moins que comme son feu père Eyadèma Gnassingbé, Faure Gnassingbé soit prêt à organiser des élections auxquelles ne participeront que son parti et ses amis.
Nima Zara
Le Correcteur N° 374 du 10 Septembre 2012