Du surplace dans l’enquête de la CNDH sur les cas de tortures dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé

 

Du surplace dans l’enquête de la CNDH, le dossier passé par perte et profit

Plus que la vérité sur le complot proprement dit, le procès dans l’affaire d’atteinte ou d’intention d’atteinte contre la sureté de l’Etat a beaucoup intéressé par les révélations tous azimuts de tortures et autres traitements cruels, inhumains et dégradants. Les inculpés avaient saisi l’occasion pour étaler sur la place publique les pires traitements qu’on leur a fait subir, qui à l’Agence nationale de renseignement (Anr), qui à la Gendarmerie. Plusieurs noms de bourreaux ont été cités, avec en tête de liste le Colonel Yotroféi Massina. Le président de la Cour à l’époque, Abalo Pétchélébia avait tout fait pour éviter leur comparution ; mais suite au procès, le gouvernement décida d’ouvrir une enquête judiciaire et la confia à la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh). On en est aujourd’hui à plus de trois (03) mois après cette décision. Mais Dieu seul sait si les Togolais auront un jour les résultats de ces investigations. Le dossier semble rangé dans les placards.

En effet c’est par un communiqué en date du 18 septembre 2011, trois jours après le procès donc, que le gouvernement mandatait la structure de Kofi Kounte pour conduire les enquêtes sur des faits manifestement avérés. « Il a été donné de constater qu’au cours des auditions au Palais de justice, certains inculpés ont fait état de mauvais traitements et de divers sévices qu’ils auraient subis, au cours de la détention préventive. Face à la gravité de ces allégations, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, chargé des relations avec les institutions de la République, a décidé, sur instruction du chef de l’Etat et du gouvernement, de mandater la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), afin qu’elle ouvre une enquête impartiale pour faire toute la lumière sur les faits allégés », dixit le communiqué.

A l’époque des voix s’étaient élevées pour condamner ce choix de la Cndh, qui se trouve être une structure étatique. Comme la branche togolaise de l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT-Togo) dirigée par Me Jil-Benoit Afangbédji. « …Confier une telle mission d’enquête sur de pires formes de traitements à la seule CNDH, ce n’est pas du tout bien. Car c’est une organisation étatique dont la ligne budgétaire est chaque année contenue dans la loi de finance de notre pays. Pour que le travail puisse se faire de façon indépendante, nous estimons qu’il y a lieu d’adjoindre à la CNDH, d’autres organisations opérant dans le domaine des droits de l’Homme de façon à avoir une commission spéciale. C’est à ce prix que le travail sera harmonieux et impartial », avait fustigé l’association dans une déclaration publique. C’était le même son de cloche du côté de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh) présidée par Me Raphaël Kpande-Adzare.

Il faut avouer que la Cndh est loin d’être la structure la plus crédible en matière de défense des droits de l’Homme au Togo. Même si elle peut se prétendre la doyenne de toutes, elle n’inspire plus aujourd’hui confiance, et ce ne sont pas les arguments qui manquent. La Cndh s’est illustrée ces derniers temps par un silence assourdissant devant les nombreuses violations des droits de l’Homme dans notre pays – interpellation et jugement de Kpatcha Gnassingbé sans levée de son immunité parlementaire, détention arbitraire et interdiction de droits de visite aux prévenus, exclusion de députés de l’Assemblée nationale…- , qui devraient normalement interpeller tout défenseur des droits de l’Homme. Son dernier rapport sur la situation des droits de l’Homme est datable au carbone 14. Nombre d’observateurs avaient même vu dans son choix une stratégie savante du pouvoir en place pour brouiller les pistes et enterrer ce dossier de tortures. Et aujourd’hui les faits semblent leur donner raison.

Selon les sources, les confrontations tant attendues entre les détenus et leurs bourreaux tout désignés, d’où devrait jaillir la vérité, avaient démarré le 24 novembre 2011 au siège de la Cndh à Lomé, en présence de son président Kofi Kounté, et aussi de plusieurs éléments de la Gendarmerie nationale pour prévenir tout débordement. Le Cdt Kulo, le Cpt Kadanga (à ne pas confondre avec le Col Félix Kadanga) et le Cpt Pali (à ne pas confondre non plus avec le Sergent Chef du même nom qui fait plutôt partie des victimes), ce sont là les trois officiers à avoir été confrontés à leurs accusateurs, nommément le Capitaine Adjinon Lambert, l’adjudant-Chef Seydou Ougbakiti, Kassiki Esso, Laré Nayo, Gnassingbé Bagoubadi, Moussa, Kamouki. Mais depuis, plus rien ne filtre sur ce dossier, et Dieu seul sait si les confrontations se poursuivent encore, et si le dossier est encore d’actualité. Dans le communiqué du 18 septembre, le gouvernement exhortait la CNDH « à faire diligence pour mettre à sa disposition dans les meilleurs délais possibles, les résultats de ses investigations ». Mais plus de trois mois après, on n’en sait pas plus qu’avant.

« Le gouvernement tient à réaffirmer le caractère sacré de la personne humaine, et réitère son engagement à préserver coûte que coûte les acquis de la politique active de promotion, de respect des droits de l’Homme, des droits humains et de la consolidation de l’Etat de droit qu’il a engagée de manière irréversible depuis quelques années. Tous les actes émanant de quelque autorité que ce soit, et qui porteraient atteinte à la dignité humaine et aux droits fondamentaux de la personne humaine, sont foncièrement contraires au choix du peuple togolais et à la philosophie profonde de son gouvernement ». C’est la profession de foi que faisait le gouvernement dans ce communiqué. Une pareille disposition d’esprit affichée devait inciter à prendre les mesures idoines pour faciliter les investigations et faire jaillir la lumière. Mais c’est à tout le contraire qu’on assiste de la part du pouvoir. Sans l’avis de leur conseil, et en violation de toutes les dispositions légales, les détenus qui ont pourtant leurs familles à Lomé, ont été nuitamment transférés manu militari vers les prisons de l’intérieur. Le capitaine Casimir Dontéma, et Sassou Sassouvi, employé à l’ambassade des Etats-Unis jusqu’au fameux « putsch de Pâques », ont été transférés à la prison civile de Sokodé alors que Tchinguilou Sondou, Pali Aféïgnidou et le commandant Abi Atti sont envoyés à Atakpamé. Quant aux deux autres, Essozimna Gnassingbé (Esso) et Kouma Towbeli, ils sont à la prison civile de Tsévié. Seuls Kpatcha Gnassingbé, le capitaine Lambert Adjinon, l’adjudant-chef Ougbakiti Séidou, Esso Kassiki et le Général Assani Tidjani – ce dernier a bénéficié d’une grâce présidentielle et se soigne en France – étaient maintenus à Lomé. C’était manifestement une façon d’entraver les enquêtes sur les allégations de tortures. « En prenant cette décision de transférer des détenus à l’intérieur du pays, les autorités togolaises veulent tout simplement compliquer la tâche à Kofi Kounté et son bureau. Comme quoi, rien n’est sincère avec ceux qui prétendent nous diriger », nous avait confié à l’époque un responsable d’une organisation de la société civile.

Cet état de fait avait suscité l’ire des avocats de la défense. Dans une déclaration datée du 24 septembre, Mes Zeus Ajavon, Jonas Sokpoh, Jerôme Amekoudji et Raphaël Kpande-Adzare avaient exigé que « tous les détenus ainsi transférés soient ramenés sans délai à la prison civile de Lomé en vue de la poursuite de l’enquête diligentée par la Commission Nationale des Droits de l’Homme », car cela y va du « sérieux de l’enquête et de la crédibilité de la CNDH ». Toujours dans le souci de faciliter les confrontations, les avocats avaient requis des décideurs de démettre les bourreaux désignés, des postes de responsabilité occupés car, estiment-ils, ces officiers des corps habillés ont encore les moyens de se venger de leurs accusateurs. Mais le pouvoir qui déclare être disposé à faire la lumière sur ces faits n’a donné aucune suite à ces demandes. Toutes ses actions concourent plutôt à entraver la lumière sur ces allégations.

Il faut constater aujourd’hui un manque notoire de volonté de la part des gouvernants de faire la lumière sur ces révélations de tortures, qui dépassent d’ailleurs le simple cadre d’allégations. Car c’est depuis belle lurette que des cas de traitements inhumains et dégradants étaient rapportés par la presse. Et au cours du procès, les prévenus ont confirmé à la barre, devant le peuple togolais, révélant d’autres pans de ces tortures subies. Sous le coup de l’émotion, certains ont même proféré des menaces à l’encontre de leurs bourreaux. On serait dans un pays normal que ces officiers cités plus d’une fois déjà, auraient été appréhendés, car il existe des dispositions juridiques qui autorisent l’arrestation des personnes citées dans des cas de tortures, sur de simples aveux de victimes. Malheureusement les tortionnaires se la coulent douce.

Le pouvoir devant être entendu en octobre dernier dans le cadre de l’Examen périodique universel (Epu), il a clamé vouloir faire la lumière sur ces cas de tortures. Mais c’était juste un clin d’œil au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Cet examen passé, il semble oublier ses engagements. A preuve, les enquêtes sur ces faits avérés traînent depuis plus de trois mois. Et Dieu seul sait si le dossier n’est pas rangé au placard, pour être ressuscité au prochain Epu.

Tino Kossi

Liberté N° 1123 du mercredi 28 décembre 2011