Mourra ou mourra pas. C’est la question qui se pose depuis les reports répétés à la saint glinglin de la dissolution du Rassemblement du Peuple Togolais, RPT pour un nouveau parti made by Faure Gnassingbé. Après le rendez-vous manqué de fin janvier où devait se tenir le congrès, beaucoup d’eau a coulé sous le pont et c’est le 24 mars prochain, c’est-à-dire samedi, qui a été encore annoncé pour la tenue du congrès de dissolution-création de parti. L’information a circulé dans la haute sphère politique du pouvoir togolais. Mais, notre rédaction l’a pris avec des pincettes. Car, au moment où nous mettions sous presse hier soir, la rencontre tant attendue est de nouveau reportée. Le jeu de cache-cache poursuit donc son petit bonhomme de chemin. Décidément, l’enfantement du nouveau ‘’bébé’’ traîne les pas et la naissance du nouveau ressemble de plus en plus à un serpent de mer.
Le rendez-vous était encore pris pour samedi prochain, 24 mars 2012 au palais des congrès de Lomé. Mais, pour la énième fois, la mobilisation n’est qu’une peine perdue après celle de Blitta dans la partie septentrionale du pays. D’après des informations en notre possession, des cadres et un échantillon de militants de base ont été conviés pour célébrer la messe de requiem du parti de Gnassingbé Eyadéma samedi prochain. Des dispositions ont été prises pour juguler toutes les velléités, et accompagner les potentielles victimes, ou frustrés de la métamorphose. Mais, les partisans du ‘’non’’ l’ont encore une fois emporté. Ces partisans sont pour la plupart des barons nostalgiques de l’épopée Eyadéma qui ont des privilèges et des avantages sempiternels liés à l’existence du RPT. Pour eux, d’après nos informations, des dispositions sont prises pour non seulement leur trouver des créneaux où ils pourront continuer à bénéficier de ces privilèges, mais aussi les empêcher de créer quelques confusions susceptibles de perturber le processus de la mutation. Il est vrai, la guerre était ouverte, la plupart de ceux qui sont concernés par la perte de privilèges l’ont manifesté sans ambages et ont exprimé leurs craintes au Chef de l’Etat face à la mutation. Des discussions bilatérales et tous azimuts ont permis d’après les initiateurs de la réformes de déblayer le terrain pour permettre à Faure Gnassingbé de se débarrasser du karma hideux du règne de son père qui lui colle à la peau.
Faure Gnassingbé est le fils du Général Gnassingbé Eyadéma. Ce demi-solde de l’armée colonial qui a dirigé un commando pour assassiner le 13 janvier 1963 le père de l’indépendance togolaise, premier Président de la République démocratiquement élu. L’étrange destin lui permettra de rester à la tête de la Nation Togolaise pendant 38 ans avec des résultats catastrophiques. Droits de l’homme bafoués, retard irréprochable dans le domaine du développement avec des infrastructures en lambeau, gouvernance à la villageoise avec son corollaire de corruption et de détournement, bref, Gnassingbé Eyadéma a cédé un pays en ruine. Il mourra le 05 février 2005 pour laisser l’héritage à son fils, qui aura réussi par les canons et les mitraillettes d’un quarteron d’officiers à prendre le pouvoir. La parenthèse de sang de milliers de Togolais dans le courant de son accession au pouvoir continue de faire tâche d’huile. Les Togolais espéraient un renouveau politique et démocratique porteur d’espoir, mais avec le fils, c’est la confusion totale. Une presse assiégée, une opposition anéantie, une gouvernance de copinage, une diplomatie hasardeuse. Beaucoup reconnaissent, malgré cet échec qui dure depuis sept ans, le développement des infrastructures routières.
Faure Gnassingbé loin de s’en débarrasser a toujours porté le chapeau de son géniteur et l’assume bon gré mal gré. C’est pour donc fuir ce karma qu’il a décidé de mettre les pieds dans la fourmilière, en annonçant la création d’un nouveau parti. Bien évidemment, les contestations ne se sont pas faites attendre alors que le président entend aller jusqu’au bout de son initiative avec des jeunes réformistes considérés comme de jeunes loups par les partisans du non. Ce qui laisse à outrance du doute et du scepticisme sur la réalité de la création du parti.
RPT, mourra ou mourra pas ?
La réponse à cette question est plus qu’énigmatique. Pour les uns, le principe même de la dissolution du RPT n’a aucun sens, dans la mesure où les pratiques qui sont reprochées à la gouvernance Eyadema se perpétuent sous son fils. Le trafic d’influence, la prise en otage des richesses du pays par une minorité, les élections frauduleuses, les simulacres de dialogue et le mépris pour un peuple affamé et assoiffé. Pour ceux-là, c’est un faux problème de penser que la dissolution du RPT pour redonner une nouvelle image au règne de Faure Gnassingbé. Ceux-là n’hésitent pas à conclure que mort ou pas, le RPT continuera à régner.
Faux, d’après les partisans de la réforme. Des milliers de Togolais tant de l’intérieur que de la diaspora admirent le jeune monarque et sa politique. Ils sont mobilisés autour de sa vision, mais restent bloqués par l’étiquette RPT qui lui est collée. En s’affranchissant de cette étiquette, le Président pourra se voir soutenir dans ses projets. Voilà l’argument de base brandi par les partisans du oui, à la dissolution du RPT. Positions tranchées qui mettent les deux tendances sur pieds de guerre, chacune voulant user de son influence et de sa proximité avec le président pour se faire valoir.
Conséquences de la mutation du parti RPT.
A moins d’un nouveau forcing juridique, la dissolution du RPT pose un problème sérieux dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Il est vrai, son mandat tire vers la fin, mais le problème est de savoir la position des députés du nouveau parti de Faure Gnassingbé.
L’Assemblée nationale togolaise est originellement composée de trois groupes parlementaires. Le RPT, parti au pouvoir, l’UFC, parti d’opposition aujourd’hui confondu au RPT et le CAR, un autre parti d’opposition traditionnelle représenté par quatre députés. La polémique à l’Assemblée s’entretient autour de l’expulsion des dissidents de l’UFC qui pour les uns sont toujours au parlement et pour les autres (9) dans la rue avec un nouveau parti nommé ANC. Mais curieusement, le nouveau dialogue engagé par le gouvernement semble prendre en compte le parti ANC de Jean Pierre Fabre comme parti représenté au parlement. La logique recommande qu’automatiquement, les neufs députés expulsés retrouvent les sièges du parlement, conformément à la décision de la cour de justice de la CEDEAO. Mais nenni, le pouvoir ne veut pas en entendre de ses oreilles. Parallélisme de forme, à quel groupe parlementaire appartiendra le nouveau parti de Faure Gnassingbé. C’est un débat de fond, qui alimentera l’actualité et revigorera sans doute les partis d’opposition.
Autre conséquence, non moins important, est la tenue dans les mois à venir des élections législatives et locales. Le nouveau parti de Faure, s’il est créé, pourra t-il se faire suffisamment connaître avant les échéances ? Ceci constitue une autre paire de manche.
Enfin, pour résumer les conséquences à trois, comment se manifesteront l’ambiance et le frottement entre les partisans des deux camps opposés. Le grief face à un sujet peut être anéanti, mais ne peut être oublié. Ce qui laisse croire qu’il y aura de l’électricité dans l’air quelques heures seulement après la dissolution du RPT et la création du nouveau parti.
Sur le plan purement politique, dans l’opinion nationale et internationale beaucoup se posent la question de savoir à quoi joue Faure Gnassingbé dans ses œuvres de création de nouveau parti. Puisqu’il est arrivé au pouvoir en 2005, a brûlé un premier mandat, est arrivé à se maintenir pour un second. Dans les discussions politiques, s’élèvent des voix contre un nouveau mandat. Ce qui veut dire, que la pression, tant dans l’opinion togolaise que sur le plan international est maintenue pour que Faure ne brigue pas un nouveau mandat en 2015. S’il s’entête, il risque plusieurs scénarii. Gbagbo, ou Khadhafi, ou encore Abdoulaye Wade dans le meilleur des cas. Si Faure Gnassingbé prépare son nouveau parti à faire porter par un dauphin, il sera un démocrate épanoui et éclairé », mais si c’est pour se maintenir, il a de fortes chances de s’engager dans une dérive.
Les tueurs sont là
Ils sont ceux qui sont les farouches artisans de la dissolution du RPT. Gilbert Bawara qui a perdu les plumes, sorti du gouvernement et jeté à la présidence avec le titre pompeux de conseiller, Victoire Dogbé Tomégah Dogbé, cette autre dame à plusieurs casquettes, Directrice de Cabinet, Ministre du Développement à la base, de la jeunesse, de l’emploi des jeunes etc., Ahumey Zunu Arthème, cet autre transfuge du parti de Edem Kodjo, plombé du titre de secrétaire Général de la Présidence et de Ministre du Commerce, Ingrid Awadé, la dame à financer les projets qui vont dans ce sens, Me Aquereburu Alexis, cet avocat complètement imbibé du pouvoir de Faure Gnassingbé, influent dans la défense des dossiers de l’Etat, Dame Adanlété, originellement de la CDPA qui siège officiellement au sein du régime Faure Gnassingbé etc. Ils sont parmi les plus déterminés à voir Faure Gnassingbé se débarrasser du RPT pour son nouveau parti. Sans doute, qu’ils en ont à gagner dans la mutation, histoire pour la plupart de se maintenir dans des privilèges et avantages qu’ils n’auraient jamais obtenus si l’Etat togolais fonctionnait selon les normes saines.
Les reports répétés du congrès du RPT continueront à rester un doute dans nos têtes jusqu’à la tenue effective des assises. Mais, jusqu’à quand durera ce jeu de cache-cache ? La question reste posée.
Carlos KETOHOU
L’Indépendant express N°203 du 22 mars 2012