Des milices du pouvoir pour empêcher l’AG de la STT

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La force et le non-droit comme réponse unique et systématique aux revendications des citoyens

 

De plus en plus, il se révèle qu’il n’est pas aisé de vivre au Togo si l’on n’appartient au groupe des citoyens qui disent oui matin, midi et soir. Lorsqu’on a le courage et le front de revendiquer des droits légitimes, on peut devenir très vite des citoyens non grata et subir du coup la rigueur et la fronde des forces de sécurité, si les intimidations et manipulations ne produisent pas le résultat attendu. La grève des travailleurs du secteur public sous l’impulsion de la STT a montré une fois encore que la force et le non-droit restent encore et toujours les malheureux recours ultimes du pouvoir. C’est absolument indigne de l’Etat de droit qu’on proclame de façon intempestive.

Pour une simple Assemblée Générale

Il est scandaleux de constater que dans notre pays, en 2013, une assemblée générale des travailleurs puisse revêtir un caractère délictueux ou dangereux au point de nécessiter le déploiement de forces de sécurité et de milices. Après trois jours de grève, les travailleurs du secteur public avaient été conviés à une assemblée générale le vendredi 12 avril dernier. Le Centre communautaire de Tokoin qui a toujours accueilli ces rencontres est devenu subitement un lieu interdit d’accès. Des policiers ont même été dépêchés sur le lieu afin d’empêcher les responsables de la Synergie des travailleurs et leurs collègues d’accéder au lieu de réunion.

Chose curieuse : l’embargo est sorti de nulle part puisque, selon le chargé à l’organisation de la STT, toutes les démarches inhérentes à cette réservation ont été faites et couronnées par le quitus des responsables du centre. Entre ce moment de réservation et l’heure du meeting, les choses sont allées très vite, au grand dam et à la grande défaveur des organisateurs et des travailleurs. Transbordement à l’espace Blessing à Hedzranawoé : alors que le gérant qui a loué le lieu est sûr qu’il n’a  réservé son espace qu’à la STT, des individus sortis de nulle part ont joué les trouble-fête sans que les forces de sécurité aient pu les empêcher. Conclusion logique : la STT gêne et tout a été mis en œuvre pour empêcher les travailleurs de se réunir.

C’est extraordinaire et insensé que dans ce pays il soit encore possible de voir des actes inqualifiables de ce genre. La Constitution garantissant le droit syndical ainsi que la liberté  de réunion, rien n’autorise le gouvernement d’empêcher une simple assemblée générale, même si les organisateurs ne le font pas pour chanter la geste du président.

Au lieu d’arriver à cette extrême qui est de nature à heurter la sensibilité et à écorcher encore plus l’image de notre pays, il y avait pourtant mieux à faire. Depuis trois semaines au moins que les grèves se suivent et se durcissent, le bon réflexe aurait été d’admettre l’évidence de l’incommunicabilité de  la STT et d’ouvrir avec elle des négociations, ne serait-ce que pour faire baisser la mobilisation, ne serait-ce que pour gagner du temps. Au lieu de ces choix pertinents, le pouvoir de Faure Gnassingbé a laissé pourrir la situation pour ensuite choisir de mettre fin à la fronde par la violence, la force brute et le non-droit. Remarque valable sur le terrain politique.

Politique du passage en force

Les politiciens adversaires politiques de Faure Gnassingbé sont habitués de ces tracasseries. A plusieurs reprises, des manifestations qu’elles organisent sont tacitement interdites et empêchées par tous les moyens de non-droit. Des rassemblements à Kodjindji, dans la vague du printemps arabe à l’impossible marche de Doumasséssé en passant par l’interdiction formelle d’utiliser le carrefour Deckon comme lieu de manifestation, ces dames et messieurs qui refusent de regarder dans la même direction que le fils d’Eyadèma en ont vu de toutes les couleurs et de toutes les nuances.

            A Deckon en effet le 12 juin de l’année dernière, la mobilisation des populations fut telle que le pouvoir impopulaire du RPT, dissous deux mois plus tôt, a sûrement pris peur et a choisi de recourir aux grands moyens pour arrêter la fièvre de contestation. Ni le ministre de la sécurité, ni le directeur de la gendarmerie, ni le directeur de la police n’ont pu expliquer aux populations comment est survenue la violente et aveugle répression qui s’est abattue sur les manifestants au matin du 13 juin. Deckon I prit ainsi fin, par la force de la violence et de l’arbitraire.

De la même manière, la marche du 15 septembre 2012 à l’appel du FRAC a été étouffée dans l’œuf. Motif : des individus facilement identifiables se sont attaqués aux manifestants à coups de gourdins, de machettes et de cordelettes. Comme si le quartier Doumasséssé était un no-man’s-land interdit aux adversaires politiques, des individus visiblement agissant en faveur du pouvoir en place se sont plu à y faire la loi sans que la police et la gendarmerie déployées pour encadrer la manifestation aient pu les en empêcher ni les arrêter. Faut-il rappeler la mésaventure des responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) à Kara ? La logique est la même, l’aboutissement aussi. On en déduit que, chaque fois que le pouvoir de Faure Gnassingbé n’a pas d’arguments valables et se retrouve dans ses petits souliers, il n’hésite pas à actionner le levier de la force brute et de l’arbitraire.

Suffisance et facilité

On ne peut pas comprendre que, après avoir regardé la STT comme une misérable créature qu’on peut écraser d’un coup de pied négligeant, le pouvoir de Faure Gnassingbé ait résolu d’utiliser la force et l’arbitraire pour la mettre hors d’état de nuire. Depuis le 22 janvier où le divorce a été consommé entre les travailleurs et les six centrales syndicales qui portaient naguère les revendications des travailleurs, le gouvernement savait que, tôt ou tard, le problème reviendra sur le tapis ; étant donné que les travailleurs n’ont pas digéré le coup du statut de la fonction publique voté sans les composantes financières. Mais il a joué de suffisance et d’indifférence.

Même lorsque la STT a été portée sur les fonts baptismaux, me^me lorsque celle-ci lui a transmis un courrier réitérant les revendications des travailleurs, il est resté inflexible, renfermé dans sa tour d’ivoire de suffisance et du sentiment d’invulnérabilité. Une première grève puis une seconde n’ont pas influé sur cette attitude incompréhensible. Autrement, le gouvernement aurait réagi autrement. Peut-être a-t-il cru que les travailleurs ne feront pas confiance à la STT, que le mot d’ordre ne sera pas suivi et qu’ainsi la bombe va se désamorcer d’elle-même. Choix de perdant dans la mesure où autant la première grève des 4 et 5 avril que la seconde des 10, 11 et 12 avril et qui est annoncée pour se poursuivre ce lundi, la mobilisation des travailleurs est sans égal et qui sait sans précédent.

C’est la colère des élèves marquée par des défilés de gens mécontents et des rassemblements bruyants au ministère de tutelle qui réveillent enfin le gouvernement de son long sommeil de fuite en avant, de fuite de responsabilité et surtout de suffisance méprisante. Quelle va être l’attitude du gouvernement après la vague déferlante des élèves ? Bien malin qui saurait le dire puisque le discours n’a pas encore vraiment changé et que la volonté de taire le mouvement en intimidant les meneurs, en bouclant les lieux de réunion est toujours visible. Et pourtant, il y a une manière très simple de dégonfler le ballon ainsi surgonflé. L’entêtement du gouvernement renforce la conviction des travailleurs selon laquelle on ne veut pas donner une réponse satisfaisante à leurs revendications.

Jusqu’à quand le gouvernement s’attachera-t-il à cette logique pour le moins absurde ? Posons autrement la question : jusqu’à quand le gouvernement de Faure Gnassingbé et de Kwesi Ahoomey-Zunu comptera-t-il sur le passage en force pour « régler » les problèmes du pays ? On ne soigne pas une plaie en la cachant ; elle s’infecte et devient dangereuse. A force de remettre à plus tard la satisfaction des revendications légitimes des travailleurs, le gouvernement va créer une situation de trop plein de frustrations et de déceptions aux conséquences imprévisibles. A force de jouer du dilatoire en ce qui concerne les réformes prévues par l’accord politique global du 20 août 2006, on est arrivé à la situation d’enlisement caractérisé par le report sine die des législatives attendues au dernier trimestre de l’année dernière.

La grève des travailleurs qui se poursuit faute de réponses viables aux revendications génère des conséquences déplorables dans les centres de santé et dans les écoles. Attendra-t-on que tous les citoyens qui ont besoin d’être pris en charge dans les hôpitaux publics, faute de le faire faire dans les cliniques privées, meurent comme des mouches avant d’avoir la bonne réaction ? Attendra-t-on que les examens de fin d’année se retrouvent dans l’impasse avant de mettre de l’eau dans son vin ? Toutes ces questions soulignent de l’avis des analystes et des observateurs une vérité incontournable : la force brute et l’arbitraire ne résolvent jamais les problèmes. Ils les remettent à plus tard. Autrement, il n’y aurait plus de forces d’opposition dans ce pays depuis longtemps exactement comme les travailleurs se seraient déjà réduits au silence, subissant sans broncher la misère de leurs conditions non enviables de travail et de vie. L’histoire ne fait que commencer.

Nima Zara

Le Correcteur N° 427 du 15 avril 2013