LES ORGANISATIONS DE DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME
ACAT-TOGO, ATDPDH, CACIT, CTDDH, LTDH, JDHO
DECLARATION DES ODDH AU SOUTIEN DES JOURNALISTES OBJET DE MENACES ET POUR LA PRESERVATION DE LA LIBERTE DE PRESSE ET D’EXPRESSION AU TOGO
Les organisations de Défense des Droits de l’Homme (ODDH):
• L’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, branche togolaise (ACAT-TOGO) ;
• L’Association Togolaise pour la Défense et la Promotion des Droits de l’Homme (ATDPDH) ;
• Le Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT) ;
• La Coalition Togolaise des Défenseurs des Droits de l’Homme (CTDDH) ;
• Journalistes pour les Droits de l’Homme (JDHO) ;
• La Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) ;
Horrifiées par les pratiques qui ont cours au sein de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) et par les menaces persistantes dont feraient l’objet certains journalistes togolais de la presse privée ;
DECLARENT CE QUI SUIT :
Suivant « Lettre ouverte » en date à Lomé du mardi, 26 avril 2011, les ODDH ont exprimé au chef de l’Etat leurs vives préoccupations concernant le fonctionnement et les pratiques au sein de l’ANR.
En effet, des investigations menées par nos organisations révèlent que de tels actes constitutifs de douleurs ou de souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligés aux personnes détenues, par des agents de cette Agence, aux fins d’obtenir d’elles ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de les punir d’un acte qu’elles ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de les intimider ou de faire pression sur elles ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne.
Ces faits sont constitutifs, sans nul doute, de torture au sens de l’article premier de la Convention des Nations Unies Contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il a été porté à la connaissance des ODDH que des actes de torture ainsi que des traitements cruels, inhumains et dégradants sont pratiqués dans ces locaux notamment le fait de :
– Faire mettre une personne à genoux toute la nuit ;
– Proférer des menaces réelles de mort, avec arme braquée sur ces personnes pendant des heures ;
– Menotter les personnes par arrière pendant 95 jours durant ;
– Arroser les personnes de l’eau glacée sur le corps pendant une bonne partie de la nuit ;
– Contraindre les personnes à rester sous la pluie ;
– Contraindre les personnes à regarder le soleil pendant 03 heures durant, sans fermer les yeux, ni baisser la tête ;
– Rester debout pendant une semaine entière, nuits et jours ;
– Se coucher tout nu à même le plancher cimenté
– Passer des nuits à côté d’un groupe électrogène en marche…
Plus inquiétant, ces détentions se pratiquent sans aucune intervention des juridictions compétentes, particulièrement le Ministère Public qui a le monopole des poursuites en la matière et ne s’apparentent pas moins à des mesures de garde-à-vue mais bien plus s’assimilent à des peines privatives de liberté.
Or, en aucun cas et sous aucun prétexte, de tels actes ne sont admissibles comme en témoigne le caractère absolu de l’interdiction de la torture par l’article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Convention contre la torture, et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, ratifiée par le Togo, ainsi que par l’alinéa 2 de l’article 20 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.
Les ODDH rappellent les dispositions de l’article 12 de la Convention de New-York contre la torture du 10 décembre 1984 selon lesquelles :
« Tout Etat partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction ».
Les ODDH signataires de la présente lettre ayant constant à l’esprit que cette Agence dépend entièrement de la Présidence de la République, sont en droit de conclure que les exactions qui y sont commises impliquent directement le chef de l’Etat.
Pour toutes ces raisons, nous, Organisations de Défense des Droits de l’Homme, relevons et dénonçons le caractère illégal et hautement répréhensible des actes et pratiques auxquels se livre l’Agence Nationale de Renseignement.
Cela nous a paru indispensable dans la mesure où, l’Agence étant placée sous l’autorité directe du Président de la République, il reste donc le seul à détenir le pouvoir de faire cesser de tels actes.
Les ODDH rappellent que lors de sa 101ème Session tenue à New York aux Etats-Unis du 14 mars au 1er avril 2011 sur « l’Examen des rapports soumis par les Etats parties conformément à l’article 40 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques », le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies s’est, au point 16 de ses « Observations finales » concernant le TOGO, « préoccupé par les allégations de torture et de mauvais traitement en détention, notamment dans les locaux de l’Agence nationale de Renseignement (ANR) et par certaines allégations de décès résultant de mauvais traitements en détention. Le Comité déplore l’absence de réponse de l’Etat partie sur le nombre de plaintes déposées pour torture ou mauvais traitements et le manque de suivi de ces plaintes. Il déplore également le manque d’enquêtes effectuées afin d’apporter la lumière sur les cas de décès en détention (article 6, 7 et 2) ».
Le Comité a ainsi recommandé que « L’État partie (le TOGO) devrait prendre des mesures afin d’enquêter sur toutes les allégations de torture et mauvais traitements ainsi que sur tout décès survenu en détention. De telles enquêtes doivent être diligemment menées afin de traduire les auteurs en justice et d’offrir des réparations utiles aux victimes ».
Les ODDH sont d’autant plus inquiètes que, non seulement le chef de l’Etat n’a pas répondu à leurs recommandations et à celles des instances internationales de protection des droits de l’Homme, mais, lors des cérémonies marquant la commémoration du 51eme anniversaire de l’indépendance du Togo, ce dernier a cru bon de décerner au Colonel MASSINA Yotroféi qui dirige l’ANR la décoration de « Grand croix de mérite ».
Les Organisations de Défense des Droits de l’Homme, par conséquent, ont exigé dans cette lettre ouverte et ce, dans un délai raisonnable :
– La clarification du statut, du rôle, des prérogatives et du fonctionnement de l’Agence Nationale de Renseignement ;
– Le transfert immédiat et sans délai de tous les détenus qui sont encore dans les locaux de l’Agence Nationale de Renseignement, vers d’autres centres de détentions habilités à les accueillir.
– La cessation immédiate de tous les actes de torture, exactions et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants commis sur des personnes incarcérées dans la dite Agence ;
– L’autorisation aux ODDH soussignées à visiter périodiquement et de manière inopinée les locaux de l’Agence Nationale de Renseignement afin de rassurer l’opinion nationale et internationale sur la nature des activités effectuées dans cette Agence ;
Depuis lors, aucune réaction, ni de la part du chef de l’Etat, ni de la part d’aucune autre autorités n’a été entendue.
Pire encore, il y a de cela quelques temps, des informations persistantes font état de menaces réelles d’atteinte à l’intégrité physique et à la vie de certains journalistes jugés critiques vis-à-vis du pouvoir en place.
Ces menaces qui proviendraient de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) sont attentatoires aux libertés de presse et d’expression au grand mépris des textes internationaux et nationaux, notamment l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, l’article 26 de la Constitution togolaise et l’article 99 du Code de la Presse et la Communication du Togo.
Naturellement, elles ont fait l’objet de larges et vives condamnations aussi bien par les associations de journalistes que par les ODDH et les partis politiques.
Les ODDH vivement préoccupées par ces agissements graves et horribles, sont inquiètes du silence des plus hautes autorités compétentes, principalement le Président de la République, le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile, la Ministre des Droits de l’Homme, de la Consolidation de la Démocratie et de la Formation Civique vis-à-vis de tels menaces et des cris d’alarme venant des différents acteurs de la vie sociale.
Dans leurs différentes déclarations rendues publiques, les ODDH ont d’abord rappelé avec insistance que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, une des conditions de base de son progrès et du développement de chaque personne. Cette liberté s’applique non seulement aux informations et aux idées qui sont accueillies de manière favorable, mais aussi et surtout à celles qui offensent, choquent ou dérangent le pouvoir étatique ou toute autre partie de la population.
Les ODDH se sont ensuite indignées du fait qu’aucun communiqué officiel n’est intervenu pour situer l’opinion nationale et internationale sur les cas de menaces dont il est fait état.
Elles ont enfin appelé les autorités compétentes, notamment le chef de l’Etat, surtout en sa qualité d’autorité dont dépend directement l’ANR, à tout mettre en œuvre en vue d’assurer à tous les journalistes, sans distinction aucune, le respect et la protection de leur intégrité physique et morale.
Mais depuis lors, aucun communiqué officiel n’a été fait.
Ces menaces viennent rendre plus difficile la mission de journaliste, dans un contexte où difficilement, ce dernier a accès aux informations : informer le plus objectivement possible, avec un sens de responsabilité à toute épreuve, au nom uniquement du droit du citoyen à l’information et dans le but de préserver la paix sociale.
Aux termes de l’article 54 du Code de la Presse et de la Communication en République togolaise, est « journaliste, toute personne qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, la recherche, la collecte, la sélection, l’exploitation, la publication et la présentation de l’information dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle, dans une ou plusieurs agences de presse ou dans un service d’information ».
Face à ce climat fort délétère pour la liberté de presse, les ODDH soussignées réitèrent leurs demandes formulées dans leur lettre ouverte adressée au chef de l’Etat le mardi, 26 avril 2011, notamment :
– La clarification du statut, du rôle, des prérogatives et du fonctionnement de l’Agence Nationale de Renseignement ;
– Le transfert immédiat et sans délai de tous les détenus qui sont encore dans les locaux de l’Agence Nationale de Renseignement, vers d’autres centres de détentions habilités à les accueillir.
– La cessation immédiate de tous les actes de torture, exactions et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants commis sur des personnes incarcérées dans la dite Agence.
En outre, les ODDH exigent :
– La Démission pure et simple du Colonel MASSINA Yotroféi, Directeur Général de l’ANR et sa traduction par-devant les juridictions togolaises compétentes ;
– Demandons avec insistance que les agents de la Gendarmerie et de la Police assurent leur mission régalienne d’officiers de police judiciaire ;
– Demandons aux magistrats du Parquet d’avoir un regard constant et vigilant sur le respect des fonctions et missions dévolues à l’ANR, conformément au Décret N°2006-01/PR du 26 janvier 2006 portant création de cette Agence ;
– Dénonçons publiquement et énergiquement le laxisme et la torpeur qui caractérisent l’attitude de l’actuelle ministre des Droits de l’Homme, de la Consolidation de la Démocratie et de la Formation Civique ;
– Demandons l’ouverture immédiate et sans délai d’une enquête indépendante en vue de situer la responsabilité des auteurs des menaces dont font l’objet certains journalistes de la presse privée, ainsi que sur les actes de torture, de traitements cruels, inhumains et dégradants dont sont victimes les personnes détenues au sein de l’ANR ;
– Regrettons et dénonçons les propos du ministre de la Sécurité et de la Protection Civile selon lesquels « l’ANR s’acquitte scrupuleusement de sa mission dans le cadre de ses attributions » ;
En conclusion, il y a lieu de rappeler que déjà au Ve siècle avant J-C, le célèbre philosophe et historien grec, HERODOTE s’écriait :
« Artabanus…eut l’audace de parler : Oh Roi, déclara-t-il, il est impossible, au cas où une seule opinion s’exprime, de faire le meilleur choix : un homme est alors contraint de suivre l’avis, quel qu’il soit, qui a pu lui être donné ; en revanche, si des discours opposés se font entendre, il est possible de choisir. De la même manière, l’or pur ne se reconnaît pas par lui-même ; mais c’est en l’analysant en même temps qu’un minerai de moins bonne qualité que nous voyons lequel est meilleur ».
Triste sort d’un peuple obligé de « la fermer » pour pouvoir manger et pour éviter les représailles politiciennes d’une dictature des plus dangereuses : « silence, on développe ».
Lomé, le 06 Août 2011
Les ODDH soussignées:
• ACAT-TOGO : Me Jil-Benoît AFANGBEDJI
• ATDPDH : Mme Ayélé DOGBE
• CACIT : Me Zeus Ata Messan AJAVON
• CTDDH : Carlos Komlanvi KETOHOU
• JDHO : Bonaventure MAWUVI
• LTDH : Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE
Ampliations:
– Ambassades et Représentations Diplomatiques
– Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH), Bureau du TOGO
– Union Européenne (UE)
– Organisation Internationale de la Francophonie (OIF)
– Presses