Coup de force électorale en préparation au Togo

Coup de force électorale en préparation par le pouvoir

La boulimie politique de Faure Gnassingbé conduit le Togo vers une nouvelle impasse de violences électorales

C’est une vérité qu’en politique, il n’y a pas de place pour la morale. Toutefois, tout être humain qui veut qu’on lui reconnaisse encore la dignité d’un être de chair et de sang ne doit pas oublier que toute vie nécessite une petite dose de bon sens, de pudeur et de morale. Le couple Gilchrist-Faure donne de plus en plus le sentiment d’avoir perdu le contact avec la réalité, ce qui du coup les empêche de se rendre à l’évidence que leur dynamique d’élections vaille que vaille est plus qu’impudique et suicidaire. Le renouvellement unilatéral des membres de la CENI autorise ces avis et appréhensions.

Un renouvellement polémique

Prétextant du refus de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et du Comité d’action pour le renouveau (CAR) de donner suite à la requête de proposition de candidats devant les représenter à la commission électorale, le gouvernement UFC-UNIR a procédé au renouvellement, comme bon lui semble. Dans un élan du « tout ou rien », les deux partis, liés par l’accord du 26 mai 2010 qui n’a rien apporté au pays hormis de permettre à certains opportunistes de sortir de la dèche ou à d’autres d’éjecter des camarades encombrants pour prendre leur place, se sont partagé les sièges et ont pris le plaisir de jeter les os maigres à leurs adversaires indésirables.

Hors de tout bon sens et de toute légalité, l’UFC et UNIR se sont taillé la part du lion, se réservant 8 places sur les 13 affectés aux partis politiques. La polémique n’a pas attendu pour naître et enfler. Tous les partis politiques ont crié au scandale pendant que le nouveau griot de Gilchrist Olympio, Me Homawoo s’en donne à cœur joie à expliquer l’inexplicable et à se comporter comme si c’était lui qui avait inventé les mots politique et élections. Personne ne regarde du côté de l’impertinent avocat qui semble grisé par le pouvoir factice et les privilèges de valets qui y sont attachés auquel il a accès depuis le 26 mai 2010 certes, mais il est important de souligner la désapprobation générale et totale de l’initiative malencontreuse du couple UFC-UNIR. En plus des 8 sièges, le couple est sûr de la caution de 2 membres sur les 3 de ce qu’on appelle les partis extraparlementaires ; de même, il comptera pour lui le soutien des représentants du gouvernement, de l’administration et de la société civile. Calcul rapide : l’UFC et UNIR auront près de 13 membres sur les 17 de la commission qui défendront ses points de vue et exécuteront sans doute ses volontés. Quel crédit peut avoir une élection organisée sous la houlette d’une commission électorale ainsi composée ? Il faut être illusionniste comme l’UFC pour croire à une quelconque transparence d’élections organisées dans ces conditions.

C’est donc naturellement que le parti de Gerry Taama a désavoué l’acte, dénonçant une composition déséquilibrée. Le Collectif Sauvons le Togo (CST) et la coalition Arc-en-ciel ont également exprimé leur désaccord indiquant dans un communiqué conjoint en date du 18 octobre dernier que « ce comportement du gouvernement atteste une fois encore sa mauvaise foi et sa volonté manifeste de plonger le pays dans un chaos certainement plus grave que la situation vécue par les Togolais en 2005 ». Le même communiqué parle de « énième coup de force » et met le gouvernement UFC-UNIR en garde « de vouloir organiser à tout prix et même dans le bain de sang les prochaines législatives ». Dans la même logique, le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) a condamné la manœuvre, rappelant au nom de l’Accord Politique Global du 20 août 2006 la nécessité d’une composition équitable de la commission électorale. Pour le parti des avocats Agboyibo et Apevon, c’est « inacceptable » que par une telle manœuvre, on se retrouve dans une situation où il y aura à la CENI « 5 représentants pour l’opposition contre 12 pour le pouvoir ».

Provocation et extrémisme

Le couple Faure-Gilchrist est résolument dans une dynamique d’extrémisme et de provocation. Fambaré Natchaba, alors factotum de feu Eyadèma et du système RPT avait dit qu’ils prendraient tout, si on  leur en donnait l’occasion. Aujourd’hui, c’est exactement ce que le gouvernement UFC-UNIR fait avec une forte dose de provocation et d’extrémisme.

La provocation réside dans le choix de reconduire à la CENI des citoyens dont l’honnêteté et la crédibilité sont discutables. Bien de gens ne comprennent pas .ainsi pourquoi, en voulant renouveler la commission électorale, on accorde les suffrages à ceux-là mêmes qui, en 2010, n’avaient pas obtenu le satisfecit de la classe politique après leur travail à la CENI. Pourquoi peut-on s’entêter au point de ramener les mêmes têtes qui avaient cristallisé toutes les contestations et toutes les fixations diaboliques ? N’est-ce pas de la provocation que d’agir ainsi ? Pourtant, le bon sens recommande qu’on ait la présence d’esprit de mettre la CENI hors de toute raison de soupçon et de doute a priori. Pour cela, on aurait dû chercher de nouvelles têtes, ne serait-ce que pour retarder les soupçons et les doutes qui produisent le malheureux effet de crisper les opinions et les attitudes.

Extrémisme ensuite dans la mesure où, en renouvelant la commission de cette manière, le couple UFC-UNIR fait montre d’une boulimie politique sans égale. Selon les mots du communiqué du CAR, « si cette manœuvre réussit,  cela donnerait dans le meilleur des cas 5 représentants pour l’opposition contre 12 pour le pouvoir », on doit logiquement conclure dès lors que si le pouvoir UFC-UNIR s’attribue 12 sièges sur 17 à pourvoir, c’est qu’il s’inscrit dans l’extrémisme, lorgnant visiblement de contrôler au-delà de la majorité absolue les travaux de la commission électorale nationale indépendante. A-t-on besoin en effet de prendre autant de sièges sans susciter ou réveiller chez les adversaires politiques des soupçons de volonté de biaiser les élections ?

L’extrémisme se manifeste également par le black-out que le couple historique UFC-UNIR a fait sur le projet de loi portant statut de l’opposition. Bien que ce projet de loi ait été déjà discuté et adopté au niveau de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, il n’a jamais été mis au programme des textes à adopter. Le CAR explique qu’il en est ainsi puisque « le pouvoir cherche à amputer l’opposition d’une partie du nombre de représentants à la CENI auquel elle a droit pour les attribuer à des partis de la majorité gouvernementale ». Le projet de loi définit en substance que « au terme de la présente loi, est considéré comme parti de l’opposition, tout parti politique ou coalition de partis politiques n’appartenant pas à la majorité parlementaire ou ne soutenant pas l’action gouvernementale ». Du coup, on aurait adopté ce projet que l’UFC ne revendiquerait plus rien de l’opposition et les 3 sièges que ses amis d’UNIR lui donnent au nom de cette opposition, ne seraient que de l’usurpation. Voilà ce qu’on a évité en oubliant rapidement le projet de loi. Qu’importe, il faut être inconséquent et impertinent à en être lié pour soutenir qu’un parti qui prend fait et cause pour le pouvoir, qui ne critique pas l’action du gouvernement est encore et toujours membre de l’opposition. C’est de l’extrémisme primaire et infect.

Peur de demain

Le choix inexpliqué du couple UFC-UNIR incline les uns et les autres à s’interroger sur la suite du processus. Vu la levée de boucliers suscitée par le renouvellement unilatéral et tendancieux de la CENI, n’y a-t-il pas de fortes raisons de craindre pour le pays des jours chauds et des semaines de tension aux conséquences insoupçonnables ? Le CST et la coalition Arc-en-ciel ayant promis de « s’opposer par tous les moyens, conformément à la constitution, à cet énième coup de force », on peut imaginer le schéma qui est ainsi dessiné : manifestations de rue, répressions, bilan macabre, tensions, discords, etc. Pourtant, Faure Gnassingbé a déclaré devant témoin que « lui, c’est lui, moi c’est moi » tentant par cette comparaison d’insinuer que son feu père doit assumer ses actes condamnables et qu’on ne doit pas  supposer qu’il ferait les mêmes choses. A l’analyse, le président togolais n’a pas dit la vérité. Les élections qu’il fait organiser depuis 2005 n’ont rien d’extraordinaire qui incline à admettre qu’il est différent de son père.

Au contraire, sa boulimie du pouvoir est telle qu’il a oublié qu’il devait démentir les prévisions selon lesquelles il ne fera pas mieux que son défunt père. Sa volonté de rester au pouvoir jusqu’à la fin du monde tranche évidemment avec toute bonne gouvernance, sa propension à contourner les lois et la constitution pour imposer ses humeurs  à ses adversaires indique sans doute aucun qu’il n’est pas du tout capable de changer la gouvernance électorale. Ce sera donc une honte de plus pour lui que des élections riment avec violences, tensions et incertitudes. Faut-il comprendre qu’il lui faut contrôler la CENI pour gagner 50 sièges sur 81 et obtenir 60% des suffrages exprimés ? C’est la CENI qui vote pour lui, et non les Togolais. Voilà qui est clair. Tout bien considéré, Faure Gnassingbé doit prendre conscience que des élections qui font couler le sang des Togolais ne donneront jamais une bonne image de lui, même s’il paie toutes les pages pub de tous les magazines du monde.

Nima Zara

Le Correcteur N° 385 du 22 octobre 2012