C’EST NOTRE MANIÈRE DE FAIRE NOTRE PART

C’EST NOTRE MANIÈRE DE FAIRE NOTRE PART

Il y a un peu plus d’un mois, un de mes collègues de l’université, militant du RPT, voulait savoir les raisons pour lesquelles je participais aux marches organisées par le Front Républicain pour le Changement (FRAC) chaque samedi à Lomé. Je me suis rappelé de ce qu’un de mes professeurs de lycée nous avait raconté. Un jour, sous l’époque coloniale, il a débouché sur un groupe impressionnant de manifestants qui scandaient à tue-tête : « Nous ne voulons pas ! Nous ne voulons pas ! » Et au professeur de demander à un de ces manifestants : « Que ne voulez-vous donc pas ? Est-ce que moi je sais, » lui répondit ce manifestant, qui sans perdre une seconde, rejoignit le groupe en scandant encore plus fort : « nous ne voulons pas, nous ne voulons pas. » Je sais que beaucoup de compatriotes posent la même question à beaucoup d’entre nous qui marchons, surtout que pour eux ces marches ne semblent pas donner de résultats. Alors pourquoi marchons-nous ?

Pour l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI), nous marchons parce que Faure Gnassingbé et le RPT ont volé aux Togolais leur victoire aux élections présidentielles du 4 mars 2011. Nous marchons parce que nous voulons que les élections aient un sens au Togo. Nous marchons parce que, malgré le satisfecit accordé par la communauté internationale aux autorités togolaises au lendemain de l’élection présidentielle du 04 mars 2010, le pays se caractérise encore par une crise politique, économique et sociale profonde, une gestion opaque des finances publiques, une généralisation de la corruption confortée par la persistance de l’impunité, la politisation et l’ethnicisation de la justice et de l’administration publique. Nous marchons parce que les Droits de l’homme et des citoyens sont de moins en moins respectés. Pour preuve, l’emprisonnement depuis plus de deux ans du député Kpatcha Gnassingbé sans que son immunité parlementaire ait été enlevé et sans droit de visite de sa femme. Pour preuve l’exclusion de neuf députés de l’opposition appartenant au parti de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), prononcée le 22 novembre 2010 par la Cour Constitutionnelle, au mépris des dispositions de la Constitution et du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale. Pour preuve l’emprisonnement après la torture de Monsieur AGBA et l’emprisonnement de Monsieur Essohamlon Sama initiateur de Redémarre. Pour preuve l’arrestation du député Robert Olympio sans autre forme de procès lors d’une manifestation du FRAC. Pour preuve la violence inouïe dont font usage les agents des forces de l’ordre pour réprimer les manifestations du FRAC et l’interdiction à l’opposition de manifester à l’intérieur du pays. Nous marchons pour que le Togo soit gouverné autrement. Nous marchons enfin surtout parce que trop c’est trop. Pour comprendre la suite de notre analyse, un rappel chronologique des évènements qui cristallisent la haine et la frustration méritent d’être fait.

RAPPEL HISTORIQUE DES FONDEMENTS DE LA CRISE

Le coup d’état du 13 janvier 1963, qui vit l’assassinat de Sylvanus OLYMPIO, premier président démocratiquement élu du pays ouvrit la voie aux années sombres de la vie politique au Togo. Le gouvernement dirigé par Nicolas Grunitzky mis en place après ce coup d’état militaire, a été à son tour renversé par un deuxième coup d’état militaire le 13 janvier 1967. Après une courte transition conduite par le Colonel Dadjo, le Lieutenant-Colonel Eyadéma Gnassingbé, fut porté au pouvoir qu’il ne quitta qu’à son décès le 5 février 2005. Son règne long sans partage 38 ans durant, qui a connu un bref intermède entre 1991 et 1993, fut marquée par une dictature implacable et par la création en 1969, du parti unique, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) .

En 1993 à la suite des massacres de la place Fréau alors que les ministres allemand et français de la coopération étaient en visite officiel au Togo, puis en 1998 à la suite de l’élection présidentielle calamiteuse et des nombreuses violences avant, pendant et après ce scrutin, l’Union Européenne, a renforcé ses sanctions contre le Togo par une suspension pure et simple de sa coopération pour déficit démocratique et violations massives des droits de l’Homme.

Au lendemain de cette tragédie électorale et devant la persistance de la crise politique, la communauté internationale a convaincu l’opposition de la nécessité de discuter avec le pouvoir en place. Ces pourparlers vont aboutir à la signature de l’Accord Cadre de Lomé (ACL) en 1999. L’implication du président de la République Française, Jacques CHIRAC, semblait illustrer la caution de la Communauté Internationale quant au respect des engagements pris. En présence de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République française, le président Eyadéma GNASSINGBE a solennellement donné « sa parole de militaire » de ne plus briguer un autre mandat présidentiel après celui qu’il venait de s’octroyer par la force. Cependant, profitant d’élections législatives organisées dans des conditions catastrophiques pour avoir une Assemblée Nationale monocolore à sa dévotion, le président Eyadéma Gnassingbé se tailla une Constitution à sa mesure, le 30 décembre 2002, notamment en supprimant la limitation des mandats présidentiels. Le Togo venait d’ouvrir le bal des modifications constitutionnelles permettant aux dirigeants africains de s’éterniser au pouvoir.

Ainsi armé, le gouvernement organisa les élections présidentielles en mai 2003. En dépit d’un cadre institutionnel électoral défavorable et de fraudes massives, le candidat de l’UFC, Bob Akitani, avait remporté le scrutin. Mais, une fois de plus, les résultats proclamés par la CENI et la Cour Constitutionnelle avaient déclaré le Général Eyadéma GNASSINGBE gagnant. Les manifestations de la population pour réclamer sa victoire avaient encore été violemment réprimées conduisant une fois de plus des dizaines de milliers de Togolaises et de Togolais à fuir leur pays pour se réfugier dans les pays voisins.

LE TOGO SOUS FAURE GNASSINGBE

En 2004, en accord avec le régime en place, l’Union Européenne (UE) avait conditionné la reprise de sa coopération au respect de 22 engagements qui visaient notamment : (i) l’amélioration du climat social grâce à la reprise du dialogue entre le gouvernement et l’opposition ; (ii) la promotion du respect des droits de l’homme en commençant par la libération des détenus politiques ; et (iii) l’organisation d’élections démocratiques avec l’amélioration consensuelle du cadre institutionnel des élections.

Les réformes à mettre en œuvre dans le cadre de ces engagements ont conduit à un dialogue entre la classe politique togolaise. Les discussions n’avaient pas connu des avancées sérieuses lorsque survint le décès du Général Eyadéma GNASSINGBE, le 5 février 2005. Dès l’annonce de ce décès, les Forces Armées Togolaises (FAT) s’empressent de confier le pouvoir à M. Faure Essosimna GNASSINGBE, fils du défunt Président, le même jour. Cette décision violait la constitution qui dispose qu’en cas de vacance de la Présidence de la République, la succession provisoire revient au Président de l’Assemblée Nationale.

Le 6 février 2005, l’Assemblée nationale, réunie en session extraordinaire, a procédé à des révisions constitutionnelles en violation de l’article 144 alinéa 5 de la Constitution qui dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. ». Grace à ces modifications anticonstitutionnelles M. Faure GNASSINGBE a retrouvé son titre de député à l’Assemblée nationale, après sa démission du Gouvernement . L’alinéa supplémentaire ajouté à l’article 203 adopté par l’Assemblée Nationale, ce même jour, soulignait que «lorsque cesse la cause d’incompatibilité, le député retrouve de plein droit ses fonctions » est entré en vigueur immédiatement et ce au mépris de l’article 52 alinéa 5 de la constitution. Après cet artifice juridique, M. Faure GNASSINGBE a été élu Président de l’Assemblée Nationale, ce qui lui permettait alors de pouvoir assumer l’intérim de la Présidence. Dans le même temps, la Constitution a été en outre modifiée afin de permettre au nouveau chef de l’État de rester au pouvoir jusqu’à la fin du mandat de son père, en 2008.

La Cour Constitutionnelle, la plus haute juridiction de l’Etat chargée de veiller au respect des dispositions de la Constitution, au lieu de dire le droit de manière impartiale en prononçant l’inconstitutionnalité des lois votées le 6 février 2005, les a plutôt cautionnées en procédant dès le 7 février 2005 à la prestation de serment de Monsieur Faure GNASSINGBE, en tant que nouveau Président de la République. Ainsi, en l’espace de deux jours, l’Assemblée Nationale et la Cour Constitutionnelle, au mépris de toute pratique démocratique, ont pris et légalisé des actes de forfaiture pour cautionner la décision de l’Armée d’installer M. Faure GNASSINGBE au pouvoir. Cette mascarade a été qualifiée à juste titre de « coup d’Etat ».

De nombreuses manifestations de rue de la population et de vives protestations des principaux partis d’opposition réunis en coalition ont été organisées. Des sanctions ont été prises à l’encontre du Togo par plusieurs organisations intergouvernementales, en particulier l’Union Africaine (UA) et la CEDEAO. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) a suspendu la participation des représentants du Togo aux instances de l’Organisation. L’UE et des États de l’UE comme l’Allemagne et la France ont également condamné cette prise de pouvoir de manière cavalière alors que les Etats-Unis demandaient la démission du président investi par l’armée.

Cette réprobation générale a finalement conduit :

– L’Assemblée nationale togolaise à réviser la Constitution le 21 février 2005, pour revenir à l’ancien texte prévoyant l’organisation d’une élection présidentielle dans les 60 jours ;
– A la démission de Faure Gnassingbé ; et
– A l’élection d’Abass BONFOH, élu le 6 février premier vice-président de l’Assemblée nationale, pour assurer la présidence par intérim le 25 février 2005.

Les conditions de préparation de ces élections étaient loin d’être acceptables. Selon le rapport de la mission de l’International Republican Institute (Washington, DC) en date du 6 avril 2005, un certain nombre d’insuffisances mettant en cause la crédibilité des élections et le respect des choix des électeurs, subsistaient encore. Il s’agit notamment :

– Des nombreuses déficiences du cadre institutionnel ;
– De la courte période pour la campagne électorale ;
– Du déséquilibre important dans la composition des commissions en charges des élections et ce en faveur du régime en place ;
– Des déficiences du fichier électoral. Le corps électoral était de 3 552 845 sur une population estimée à 5,1 millions d’habitants, soit 70% ! L’accroissement du nombre d’électeur a été observé surtout dans les régions favorables au candidat du régime en place. L’analyse des listes électorales fit apparaître un écart anormal entre le nombre d’inscrits et l’estimation de la population en âge de voter (+34%). Dans les régions contrôlées par le RPT, ces écarts sont particulièrement importants et les taux de distribution de cartes y sont exceptionnellement élevés (de 80 à 95%). A contrario, dans les zones échappant au contrôle du pouvoir RPT, le taux de distribution des cartes est inférieur à 50%. La « pénurie » de cartes électorales fut surtout dans les zones supposées favorables au candidat de l’opposition;
– Du manque de neutralité de l’administration publique, des forces de sécurité et de toutes les institutions de la république. Le déploiement de 3,500 membres des forces spéciales de sécurité pour la période de la campagne et des élections posait donc un problème de sécurité pour les militants de l’opposition ;
– Du fait de l’assujettissement de la justice au pouvoir, l’occupation des postes de présidence de toutes les commissions électorales locales indépendantes par des magistrats n’était pas de nature à garantir la sincérité du scrutin;
– De l’empiètement des droits des médias privés et les radios internationales et du fait qu’ils ont été victimes d’abus de pouvoir de la part du régime en place.
– Etc.

En raison du climat politique explosif dans lequel se déroulait la campagne électorale, le ministre togolais de l’Intérieur, en charge de l’organisation de ce scrutin, a lui-même demandé publiquement au président par intérim, le report de l’élection et l’organisation d’une transition au terme de laquelle des élections dans des conditions plus apaisées pourraient avoir lieu. Son action a été jugée irresponsable par le pouvoir et par la CEDEAO. Le ministre a dû finalement démissionner le 22 avril 2005, soit deux jours avant le scrutin. Il n’a eu la vie sauve que grâce à son exfiltration du Togo par une ambassade étrangère.

Le jour des élections, d’autres anomalies sont apparues : distribution frauduleuse des cartes d’électeurs et de procurations ; bourrage des urnes ; expulsion de manière souvent violente de représentants des partis d’opposition et des délégués du candidat de la Coalition dans plusieurs bureaux de vote ; agressions physiques contre des militants de l’opposition; vol de plusieurs urnes après le vote par des agents de force de l’ordre ; dépouillement de plusieurs centaines d’urnes par des militaires ou en absence des délégués du candidat de la Coalition ; etc. Les réseaux de téléphone portable et fixe et les connexions Internet ont été coupés au Togo peu avant les opérations de dépouillement de vote. Le Parlement Européen affirmait que « les conditions du scrutin ne respectaient pas les principes de transparence, de pluralisme et de libre détermination du peuple prévus par les instruments régionaux et internationaux et ne permettaient pas de reconnaître la légitimité des autorités issues de ce scrutin ».

En dépit de ces déficiences, la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) a déclaré le candidat du RPT, Faure GNASSINGBE, vainqueur des élections avec 60,2% des votes. La Cour Constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs du scrutin sans tenir compte des réclamations du candidat de La Coalition et surtout après une réunion où son quorum n’était pas atteint, en violation flagrante de son propre règlement intérieur.

La CEDEAO a déclaré que « [ses] observateurs estiment que les anomalies et insuffisances ainsi que les incidents évoqués ne sont pas de nature à remettre en cause la bonne tenue et la crédibilité du scrutin présidentiel du 24 avril 2005 […] Ce scrutin a globalement répondu aux critères et principes universellement admis en matière d’élections ».La reconnaissance par l’UE de ces résultats ne s’est pas fait attendre. Seul le Parlement européen , dans sa résolution du 12 mai 2005, a « fermement condamné la répression violente par les forces de l’ordre contre les personnes contestant la régularité du scrutin ».

Les contestations de ces résultats par les militants et les sympathisants de l’opposition ont déclenché une répression d’une rare violence des forces de l’ordre en coordination avec des milices du parti au pouvoir, le RPT, armés de machettes et de gourdins.

Selon des témoignages reçus et jugés particulièrement crédibles par la « Mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, chargée de faire la lumière sur les violations et les allégations de violations des droits de l’Homme survenues au Togo avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005 », le nombre de personnes assassinées à la suite de ces exactions se situerait entre 400 à 500. La Ligue Togolaise des Droits de l’Homme a parlé de plus de 800 morts. En outre, ces exactions ont poussé plus de 30 000 Togolais à trouver refuge au Bénin et au Ghana voisins.

La Commission nationale spéciale d’enquête indépendante chargée de faire la lumière sur ces exactions, situait le nombre de personnes tuées suite à ces violences électorales à une centaine. Elle a ensuite remis au Chef de l’Etat une «Liste nominative des auteurs et commanditaires présumés cités par les victimes». Malheureusement, aucun des auteurs présumés de ces actes n’a été, à ce jour, poursuivi, montrant ainsi la persistance de la culture de l’impunité.

Du Dialogue Inter-togolais aux élections législatives

du 14 octobre 2007

Pour un apaisement du climat social dans le pays et surtout pour favoriser la reprise de la coopération internationale, les protagonistes de la crise politique togolaise ont été invités notamment par la communauté internationale à un nème dialogue. Ce dialogue avec la facilitation de Son Excellence le Président Blaise COMPAORE du Burkina Faso, a permis la signature de l’Accord Politique Global (APG) le 20 août 2006 à Lomé.

Pour beaucoup de partis politiques et de Togolais, ce dialogue n’a eu pour but inavoué que la légitimation du pouvoir de Faure Gnassingbé. En effet, parmi les mesures prévues par l’APG seul le Gouvernement d’Union Nationale (GUN), avec un des leaders de l’opposition comme Premier Ministre, a été formé. Malheureusement ce gouvernement et surtout le Premier Ministre et les ministre de l’opposition n’avaient aucun pouvoir réel. Rien a été fait des mesures aussi importantes que les réformes politiques (constitution, code électoral, recomposition des institutions, notamment), et la lutte contre l’impunité n’avaient pas été prises.

Et pourtant, le régime en place a engagé le pays dans le processus d’une élection législative en 2007.La période avant, pendant et après ces élections législatives a été marquée par l’absence de violence notoire. Bien qu’il y ait eu des insuffisances flagrantes dans le processus de révision de la liste électorale, le fichier électoral s’est relativement amélioré : 2 911 225 d’inscrits au lieu des 3 552 845 recensés deux ans plus tôt pour l’élection présidentielle de 2005 !

Cependant, comme l’avaient dénoncé sans succès les partis politiques d’opposition, le rapport de la mission d’observateurs de l’Union Européenne relève de multiples irrégularités dont :

– D’un cadre institutionnel déséquilibré sous le contrôle du régime en place ;
– De l’utilisation abusive et sans contrôle de procurations en faveur des candidats du RPT;
– De l’absence du contrôle du plafond des dépenses par candidat prévu par les textes du fait de l’inexistence de la Cour des Comptes ;
– D’un découpage électoral et une représentativité très déséquilibrés ;
– De l’achat de conscience par le RPT en violation de l’article 157 du code électoral ;
– Des intimidations de militants et sympathisants de l’opposition par les chefs traditionnels, les préfets, etc. ;
– De la faiblesse du système de traçabilité et de sécurisation des bulletins de vote ;
– De l’absence de neutralité des autorités administratives ;
– De la faiblesse des dispositions relatives au contentieux post-électoral ;
– Etc.

Conformément aux résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle, le RPT a obtenu 50 sièges avec 924 615 voix, contre 27 sièges pour l’UFC avec 874 751 voix et 4 sièges pour le CAR avec 193 087 voix. Ces chiffres confirment le déséquilibre du découpage électoral. En effet, Chaque député du RPT a été élu par 18 492 électeurs en moyenne, contre 32 387 pour chaque député de l’UFC et 48 273 pour chacun des quatre députés du CAR.

Elections présidentielles de 2010

A la reprise des négociations, les débats autour des articles 59 et 60 de la Constitution du 14 octobre 1992, modifiés en 2002, relatifs au mandat présidentiel et au mode de scrutin se sont soldés par un échec.

Les conditions de révision des listes électorales se sont déroulées de manière non transparente et a donné lieu à un nombre d’électeurs loin de la réalité. Les nouvelles listes dans certaines préfectures représentent curieusement 135 à 156% de la population en âge de voter ! Le taux d’enrôlement est anormalement élevé dans les régions septentrionales labélisées par le RPT comme étant ses fiefs. Ainsi, l’augmentation du nombre d’inscrits de 2010 par rapport à 2007 a varié de 9% pour les régions Maritime et des Plateaux, à 15%, 22% et 21% respectivement pour les régions Centrale, de la Kara et des Savanes.

Les moyens de l’Etat et les cadres de l’administration publique ont été mobilisés au profit du candidat du RPT. Les bâtiments publics ont été utilisés par le RPT, la chefferie traditionnelle a été instrumentalisée au profit du candidat de la mouvance présidentielle et la quasi-totalité des préfets ont eu des attitudes particulièrement partisanes en faveur du candidat du RPT. Le fait le plus marquant a été l’achat de conscience par le RPT, avec la distribution à très grande échelle de nourriture et d’argent en échange notamment de cartes d’électeurs.

La mission d’observation de l’Union Européenne (MOUE) a procédé à un décompte du temps d’antenne sur les médias d’Etat : (i) la mouvance présidentielle a reçu 95% de temps de parole sur la télévision d’Etat, TVT ; la mouvance présidentielle a reçu 96% de temps de parole sur Radio Lomé, la radio d’Etat ; le quotidien national Togo Presse a couvert la mouvance présidentielle avec 97% de son espace destiné à la communication politique et 96% de ses images ; le président sortant a reçu 100% des photographies en première page.

La MOUE a également noté que dans un certain nombre de bureaux de vote par anticipation des forces de l’ordre, le nombre de bulletins trouvés dans les urnes, était supérieur au nombre de votants. En ce qui concerne le vote des civils, la MOUE a également notées des anomalies importantes. Il s’agit en particulier de : (i) l’expulsion de bureaux de vote des délégués des candidats de l’opposition ; (ii) l’utilisation de bulletins non authentifiées ; (iii) l’utilisation massive et anormales de procurations ; (vi) vote d’électeurs sans cartes d’électeurs ; (iv) chiffres de votants anormalement supérieurs au nombre d’inscrits dans des bureaux de vote ; (v) l’intimidation des électeurs pour voter pour le candidat du RPT ; (vi) renvoi de bureaux de vote de représentants des candidats de l’opposition lors des opérations de dépouillement ; (vii) etc. Des bourrages d’urnes ont été identifiés alors que, tout comme le FRAC, les observateurs de l’Union Européenne ont pu remarquer, sur la base des procès-verbaux de bureaux de vote, une centaine de bureaux de votes affichant des taux de participation supérieur à 100% !

Le dispositif pour la transmission et la centralisation des résultats au siège de la CENI depuis les CELI prévoyait trois systèmes : (i) le système fax installé dans le bureau de chacune des 35 CELI ; (ii) le système SMS avec une application développée spécifiquement pour éviter toute erreur ; et (iii) le système de transmission satellitaire (VSAT). Aucun de ces dispositifs n’a été utilisé ! Les procès-verbaux des résultats du vote de quinze CELI de la région septentrionale ont été convoyés par avion au départ de Kara. Les présidents de ces CELI, des magistrats, par ailleurs à la solde du régime, et des militaires étaient les seuls passagers de cet avion !

Les résultats provisoires ont été proclamés à la « Foire Togo 2000 », sous haute protection, en lieu et place du siège de la CENI comme prescrit par le Code Electoral. Ces résultats confirmés quelques jours plus tard par la Cour Constitutionnelle déclaraient Faure GNASSINGBE victorieux avec 60,92% des voix contre 33,94% pour le candidat Jean Pierre Fabre.

Afin de préparer leur argumentation pour une contestation raisonnée des résultats proclamés par la CENI, le FRAC, qui soutenait la candidature de Jean Pierre Fabre, avait installé un centre de centralisation des résultats de l’élection au Centre d’Education Sociale pour l’Apostolat des Laïcs (CESAL) .

Malheureusement, les forces de sécurité y ont fait une intrusion remarquée pour confisquer et emporter les procès-verbaux issus des bureaux de vote ainsi que les ordinateurs et arrêter les opérateurs de saisies et des responsables du FRAC.

Une constante se dégage clairement de cette analyse : à chaque fois, pour contribuer à la résolution de la crise socio-politique, la Communauté Internationale incite les protagonistes de la vie politique à dialoguer. Sans accord préalable ou sans respect des différentes clauses de l’accord conclu, le régime en place organise des élections. Profitant du déséquilibre du cadre législatif, organisationnel et institutionnel en sa faveur et des ressources de l’état et s’appuyant sur l’armée et les forces de l’ordre ethnique voire clanique, il organise des fraudes massives.

Les institutions habilitées à proclamer et à valider les résultats des élections et qui sont dans une majorité écrasante à la solde du pouvoir, proclament les résultats provisoires puis définitifs donnant systématiquement la victoire aux candidats du RPT. Ces résultats sont reconnus avec empressement par la Communauté Internationale. Les manifestations de protestations, organisés par des partis politiques de l’opposition, contre ces résultats frauduleux sont réprimées avec violence par les forces de l’ordre et de sécurité.

C’est pour mettre un terme à ce cycle que le FRAC organise ses manifestations.

Au regard de ce tableau sombre que nous venons de peindre, l’ADDI estime que le rôle de la Communauté Internationale est important dans cette situation de crise continuelle. Sa passivité qui se lit à travers ses représentants sur place démontre le peu d’intérêt qu’elle a pour la population togolaise. La délégation de l’UE et les chancelleries continuent d’accuser l’opposition pour son manque d’organisation en feignant d’ignorer toutes les aberrations ci-dessus énumérées. La Délégation de l’Union Européenne et des chancelleries de pays de l’UE ignorent royalement les observations faites par la MOUE suites aux élections présidentielles de 2010 et considèrent Faure Gnassingbé comme légitime. Son excellence l’ambassadeur des Etats Unis au Togo feint de ne pas se rappeler des observations de l’International Republican Institute lors des élections de 2005 et n’hésite pas à claironner la crédibilité de ce régime. Comment comprendre que sans attendre le respect des 22 engagements, la communauté internationale claironne partout la bonne conduite du gouvernement. Les recommandations issues de l’observation faites par l’UE à l’issue des élections législatives 2007 n’avaient pas trouvé de solution quand le pouvoir les a encore convaincu de maintenir ce cadre pour les présidentiel. Les recommandations à l’issue des élections de 2010 sont toujours restées lettre morte. En dépit de la recrudescence du non-respect des droits de l’homme, la communauté internationale avait encore invité les dirigeants du FRAC à reprendre le dialogue avec le gouvernement et à accepter une participation au gouvernement. Elle a encore conseillé le FRAC à s’organiser pour les élections locales qui étaient supposées avoir lieu en 2011. Elle nourrit certainement l’idée de voir le FRAC participer aux élections législatives de 2012 avec le même cadre institutionnel et organisationnel électoral. Malgré l’ampleur de plus en plus importante que prend la corruption, la communauté internationale continue à aduler le régime.

Le FRAC ne peut pas aller à un dialogue pour légitimer le pouvoir de Faure Gnassingbé avec le RPT. Le Frac dit que trop c’est trop ! Les partis politiques ont de plus en plus de difficultés à convaincre nos compatriotes que des approches non violentes sont possibles car les inégalités se creusent, le chômage est devenu endémique particulièrement chez les jeunes, l’administration publique est de plus en plus ethnicisée et à la solde du RPT, la pauvreté se généralise et, plus important, les Togolais croient de moins en moins à un avenir meilleur.

La résistance de ces derniers jours des étudiants face à la répression violente des forces de l’ordre et l’accroissement des bombes lacrymogènes contre les jeunes lors des manifestations du FRAC, ne sont-ils pas des signes avant-coureurs d’une banalisation de la violence dans le pays ?

Les Togolaises et les Togolais sont-ils un peuple à part. Doivent-ils continuer à vivre dans l’oppression ? Devons-nous nous contenter d’un régime sans vision ? Le manque d’union de l’opposition est–il un argument suffisant pour que la communauté internationale passe sous silence ces multiples violations de droit de l’homme au Togo ? Qu’est ce qui peut justifier l’indifférence, la résignation actuelle qui gagne la population togolaise sur son sort tragique ?

Pour éclairer l’esprit de notre démarche contre le pouvoir en place, réfléchissons ensemble sur ce texte de Pierre Rabhi « Un jour, dit une vieille légende amérindienne, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissamment le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le Toucan, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou?! Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu?! » Et le colibri lui répondit : «Non, mais je fais ma part». “La part du colibri” Pierre Rabhi (Ed. de l’aube) ».

Comme le colibri, les sympathisants, les militants et les dirigeants du FRAC savent que la marche seule ne suffira pas à faire partir ce régime. Mais en marchant ils veulent simplement faire comprendre à la population togolaise, à la communauté internationale représentée au Togo par la délégation de l’UE et les chancelleries, que c’est leur manière de « faire leur part pour le changement au Togo. » Nous aurions aimé que tous ceux qui ont la volonté et le désir du changement fassent aussi leur part.

Le FRAC ne prétend pas avoir le monopole ni de la lutte ni des stratégies. C’est pour cette raison que, comme le suggère les démarches que des leaders du FRAC ont fait auprès des autres organisations politiques ou de la société civile, il est prêt à s’associer à toute force de la nation œuvrant dans le sens de la démocratisation au Togo. Il ne s’agit plus de dire que la marche ne marche pas. Il s’agit de proposer quelque chose qui marche !

Chers Togolais, chères Togolaises, Chers partenaires et amis du Togo, le drame que vit le peuple togolais sous le pouvoir de Faure Gnassingbé et le RPT est sans commune mesure avec les exactions des Kadhafi, Mugabe ou El Bachir. Nous saisissons l’occasion pour lancer un appel patriotique à toutes les couches sociales de la nation. Il est vrai que nous vivons une situation de grave crise, mais sans engagement ferme de chacun de nous l’injustice et les violations de tous ordres seront des faits banals au Togo. A la communauté internationale, nous rappelons qu’en 1958, n’eût été l’implication de l’ONU, l’élection du 27 avril n’aurait eu aucun sens comme nous le vivons depuis 1990. En réaffirmant le principe du droit des peuples du Togo à vivre sous des autorités qu’ils choisissent d’eux-mêmes, nous invitons l’ONU et tous les partenaires à s’impliquer dans la recherche de la solution de la crise que vit le Togo. S’impliquer ne signifie nullement prendre partie, c’est seulement par cette manière que vous aiderez le Togo.

Professeur Aimé Tchabouré GOGUE

Président National de l’Alliance des Démocrates pour le Développement Intégral (ADDI)