Burkina Faso : prise d’otages désespérée et coup de poker
Régis Marzin, Paris, 2 octobre 2015, pour Afrika Express et Tribune d’Afrique.
Les événements du 16 au 30 septembre au Burkina Faso, représente le dénouement de 11 mois de tensions entre le Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP) et les forces de la transition, après la chute de Blaise Compaoré. Vestige de la dictature, la garde présidentielle mené par l’homme de confiance de Blaise Compaoré, Gilbert Diendéré, avait créé un blocage structurel qui menaçait le processus de démocratisation. Les modalités de sa dissolution se discutaient quand le RSP a agit pour tenter de survivre.
La tentative de coup d’Etat avait très peu de chance d’aboutir. Depuis celui du Niger en 2010, les coups d’Etat sont combattus avec vigueur par la communauté internationale et surtout africaine. Le changement de règle du jeu internationale avait été d’autant bien compris que ce cas du Niger représentait un des rares exemples positifs qui permettait une relance de la démocratie dans un pays. Il était improbable que les putschistes du 16 septembre à Ouagadougou échappent à un destin de vulgaires preneurs d’otages.
Les soldats séditieux ont agi une fois aculés, poussés jusqu’au va-tout. La prise d’otage a été réalisée alors qu’ils n’étaient pas capables de mettre en place un rapport de force équilibré. Face aux 1300 soldats du régiment, et sans doute moins si certains suivaient le premier ministre, Isaac Zida, s’alignaient, le pouvoir de transition, des partis démocratiques, une société civile dynamique, une armée et une gendarmerie, et surtout une population déterminée et organisée dans des syndicats. Le 27 novembre 2014, Michel Kafando avait mis fin aux fonctions de Chef d’Etat-major particulier à la Présidence Faso du Général Diendéré, qui restait chef du RSP sans fonction opérationnelle précise.
Le patron du RSP était menacé comme certains de ses hommes par la justice avançant sur les assassinats de Thomas Sankara ou de Norbert Zongo. Le lendemain de la prise d’otage, à 9h, était prévu une réunion sur l’affaire Sankara où « les avocats devaient être informés des avancées de l’enquête et des résultats »[1]. Des inculpations ont été prononcées et la justice continue d’avancer vers Gilbert Diendéré et vers Blaise Compaoré, par ailleurs, mis en accusation devant la Haute Cour de justice pour «haute trahison» et «attentat à la Constitution», le 16 juillet 2015[2].
Le contexte géopolitique n’était pas favorable : la lutte contre le terrorisme pousse au Sahel dans le sens d’une stabilité, quelque soit la nature des régimes, dictature en Mauritanie et au Tchad, démocratie au Sénégal, au Mali, au Niger, et bientôt au Burkina Faso. En outre, François Hollande s’appuie sur le Burkina Faso dans son bilan de soutien à la démocratisation de l’Afrique, face aux critiques sur le néocolonialisme, qui ont augmenté avec les interventions militaires françaises depuis 2010.
Dans ces conditions, la question principale qui subsiste après la crise est celle des soutiens externes au pays. Les soutiens burkinabés qui ont pris le risque de monter sur le navire des putschistes seront sanctionnés politiquement si ce n’est pas judiciairement. La crise a permis d’observer le rôle des acteurs de la communauté internationale et africaine. Puisque la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est affichée au premier plan, certains de ses présidents sont maintenant la cible des critiques.
Quels sont les intervenants extérieurs qui ont voulu transformer une prise d’otage sans rapport de force équilibré en changement de chef d’Etat entériné internationalement ? Qui a tenté de détourner le vocabulaire diplomatique, l’idée des « élections inclusives » ou de la « stabilité militaire sans morts », à l’avantage d’un clan minoritaire au Burkina Faso ? Tous les regards se tournent évidemment vers le président Macky Sall et vers le président Alassane Ouattara.
Selon une source béninoise[3], dans la soirée du 19 septembre 2015, Gilbert Diendéré a demandé à Macky Sall d’écarter Yayi Boni de la négociation, pendant la réunion, et devant Yayi Boni. Alors que de retour à Cotonou, celui-ci devenait hostile aux rebelles, le lendemain, le président en exercice de la CEDEAO a continué seul à travailler sur un accord. Dans la soirée du 19, la présidence du Sénégal a sorti un communiqué selon lequel la médiation travaillait à « un scénario qui pourrait très fortement conduire au retour du président de transition Michel Kafando»[4]sans précisions sur des « éventuelles garanties ou contreparties offertes aux putschistes ».[5]Ces contreparties ont été présentées le lendemain par Macky Sall : entre autres, « les personnes dont les candidatures ont été invalidées sur la base des articles 135 et 166 de la loi électorale du 7 avril 2015 autorisées à participer aux prochaines élections » et « une loi d’amnistie sur les évènements consécutifs au coup d’Etat du 17 septembre 2015 »[6].
Macky Sall a porté un compromis « honteux », décalé de réalité, immédiatement rejeté, au minimum, par incompétence et incompréhension de la situation au Burkina. Il a trahi les idéaux démocratiques. Il a insisté pendant encore deux jours contre vents et marées. Son ministre des affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, a assumé jusqu’au moment où cela n’avait plus de sens, jusqu’au début du sommet du Nigéria le mardi 22, quand l’armée burkinabé avait depuis 1 jour rétabli la situation, en se justifiant ainsi : « Il y a deux voies : la voie de la paix civile pour aller vers des élections apaisées, ouvertes, crédibles, démocratiques, et la voie du chaos. Et nous travaillons pour que la première voie triomphe »[7]. Il parlait de la paix imposée les otages n’étant pas libérés.
Alassane Ouattara n’a pas la chance de son collègue sénégalais de posséder une étiquette de président correctement démocratiquement élu[8] et d’une certaine complaisance des media de son pays. Trop connu pour ses amitiés avec Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, il se devait sans doute d’agir de manière plus discrète, mais le 19 au soir, présentant les preneurs d’otages comme des auteurs de coup d’Etat solides, en conférence de presse, à Abengourou, il a montré sa pensée véritable : « Comme vous le savez, deux chefs d’Etat de la CEDEAO sont à Ouagadougou depuis hier. Ils continuent les discussions avec les nouvelles autorités mais aussi, avec les représentants de la CEDEAO, de l’Union Africaine, des Nations Unies. »[9] Il a ainsi valorisé les preneurs d’otages, dans une certaine reconnaissance officielle, pour aller dans le sens de leurs revendications.
Alassane Ouattara a par ailleurs confirmé qu’il ne changeait pas de position sur la participation des partis ayant essayé de changer la constitution : ‘« Nous voulons des élections apaisées, des élections transparentes, des élections démocratiques », soulignant l’avoir dit à «plusieurs occasions … A l’occasion de la visite du Président Kafando le 31 juillet (à Abidjan), à l’occasion du sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO qui a eu lieu le samedi 12 (septembre 2015) à Dakar »’[10]. En déclarant le 20 mai 2015 « l’exclusion ne sera pas acceptable »[11], le président ivoirien, avait déjà montré sa volonté de s’ingérer dans les affaires burkinabées.
Le 19 septembre, cette logique difficilement acceptable pour les forces de la transition était pourtant encore plus fortement remise en cause par la crise. Parce qu’il véhiculait l’idée d’un coup d’Etat sérieux et crédible à plus long terme, les pressions d’Alassane Ouattara pour sauver les amis de Blaise Compaoré sous prétexte d’inclusivité électorale pouvaient sembler justifiées. Pourtant, la réalité du rapport de force militaire et populaire contredisait ce point de vue. Le président ivoirien aidé du président sénégalais tentait d’entraîner un enchaînement favorable au clan de l’ancienne dictature, qu’il aurait été ensuite impossible de déconstruire.
La négociation était évidemment également contestable sur la forme, et d’autres acteurs sont mis en cause. Participaient également Kadré Désiré Ouédraogo, le président de la commission de la CEDEAO et Mohamed Ibn Chambas Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest.
Kadré Désiré Ouédraogo est ancien premier ministre du Burkina Faso, de février 1996 à novembre 2000, une phase plus dure de la dictature de Blaise Compaoré, avant que la lutte après l’assassinat de Norbert Zongo ne fragilise le régime et l’assouplisse. Impliqué dans la dictature, Kadré Désiré Ouédraogo n’était pas neutre, il était potentiellement attaquable sur son passé par Gilbert Diendéré. Le 23 septembre, à Abuja, il était aux côté de Macky Sall pour défendre l’accord projeté avec le chef du RSP vers « une solution acceptable pour toutes les parties en présence au Burkina Faso»[12], comme si la négociation se faisait avec autre chose que des insoumis fortement armés.
Mohamed Ibn Chambas est, lui, connu pour son soutien à la dictature togolaise de Faure Gnassingbé, de 2005 à 2015. Il a participé à faire passer à son poulain togolais la délicate étape de la présidentielle d’avril 2015[13] dans un contexte fortement marqué par la corruption[14]. Ban Ki Moon le conserve dans son équipe et depuis, Mohamed Ibn Chambas maquille son forfait togolais par un discours sur la démocratie, semble s’exprimer dans le sens du vent, évitant les risques et privilégiant le consensus. Les aventures d’Ibn Chambas au Togo prouvent une chose : le diplomate issue de la CEDEAO manque de distance, est trop impliqué personnellement en Afrique de l’Ouest pour être un assistant digne des Nations Unies dans une négociation. Il y a un problème de fonctionnement de l’ONU en Afrique de l’Ouest, et, au Burkina Faso, une fois de plus, l’ONU n’a pas rempli son rôle de garant dans une négociation malgré les recommandations de principe du secrétaire général.
En fin de crise, l’Union européenne a souligné le rôle de trois présidents[15]: « Les efforts de la CEDAO, avec l´engagement personnel de plusieurs Chefs d´Etats Africains (Niger, Ghana, Bénin) pour accompagner les acteurs burkinabés dans la recherche de solutions permettant de ramener la paix et la stabilité ont joué un rôle majeur. » Mahamadou Issoufou a été particulièrement visible pour inverser la tendance et a déclaré avant le sommet du 22 à Abuja ‘« Nous souhaitons que le peuple burkinabè soit entendu » et que cet intérêt «serve de fil conducteur à la CEDEAO »’[16]. Il a fallu sept heures de débat à huis clos à Abuja pour revenir à la raison.
Le dictateur Faure Gnassingbé et le médiateur compromis Macky Sall n’étaient pas à leur place dans la cérémonie de redémarrage de la transition du 23 septembre, le premier a essuyé le ridicule en ne pouvant atterrir à Ouagadougou et le second s’est décommandé, en évitant d’avoir à répondre aux questions de la presse.
Après qu’Alassane Ouattara et Dramani Mahama, comme précédent président en exercice de la CEDEAO, ait participé à soutenir la dictature au Togo en mai 2015, la CEDEAO est de nouveau mise en cause sur les principes démocratiques. Le manque de compétence est patent, la prétention à résoudre des crises dans une ingérence non maîtrisée, également. Tant la médiation a révélé son dysfonctionnement, que les présidents réunis au Nigéria se sont sentis obligés de rappeler à l’Union africaine « le respect du principe de subsidiarité qui régit les relations entre l’Union Africaine et les Communautés Economiques Régionales»[17], alors que l’UA n’est elle-même pas reconnue pour sa capacité à défendre la démocratie. L’épisode burkinabé montre une CEDEAO éloignée de l’expression démocratique réelle, englué dans des compromis historiques, les fraternités malsaines, et une méconnaissance des lois, comme l’ont rappelé les magistrats burkinabés[18].
En donnant l’ordre aux militaires français de soustraire à ses geôliers le président Kafando, dans la soirée du 21[19], la diplomatie française a montré qu’elle pouvait agir de manière utile. Le président Hollande continue de privilégier des actes qui facilitent l’oubli du passif françafricain, dont le rôle des acteurs français autour de l’assassinat de Thomas Sankara.
L’ambassadeur Gilles Thibault, bien secondé par quelque conseillé militaire sérieux, et qui n’oublie jamais de rappeler ses contacts avec le Balai citoyen, a sorti son épingle du jeu et a réussi à faire oublier les sauts en parachutes de son prédécesseur, ambassadeur entre le août 2010 et août 2013, Emmanuel Beth, l’ami de Gilbert Diendéré[20], qui affirmait que l’idée des poursuites contre l’ex-président Compaoré « fait partie des règlements de comptes du passé et que c’est une absurdité » et que, pour les élections, l’« on ne peut faire d’impasse sur l’essentiel : l’accès de tous (candidats et électeurs) aux élections »[21].
La prise d’otage par le Régiment de la Sécurité Présidentielle et ses violences terminées, l’homme de confiance de Blaise de Compaoré « le soldat qui sait tout, mais ne dira rien … le big boss des renseignements généraux. ‘l’homme le mieux informé du pays’ » par qui transitent « les précieuses informations que lui transmettent les Américains et les Français »[22] a quitté le refuge du nonce apostolique, pour finir entre les mains des autorités de transition. Le 1eroctobre, le premier ministre Isaac Zida, a annoncé, son jugement par un tribunal militaire.
L’armée, son chef, le général Pingrenoma Zagré, et ses adjoints, ont rappelé une seconde fois que des armées républicaines pouvaient, dans certains pays d’Afrique, prendre part à la fin des régimes dictatoriaux. La crise burkinabé illustre correctement la nécessité d’une transformation des armées de protection des présidents en armées républicaines au service du peuple au travers d’institutions démocratiques.
Après la dissolution du bastion résistant de l’ancien système dictatorial et la décrédibilisassions supplémentaire du CDP, le processus électoral, retardé de quelques semaines, se trouve soulagé d’une épée de Damoclès. Puisque les crimes du chef du RSP et de l’ancien président exilé sont liés, la neutralisation de Gilbert Diendéré permettra maintenant à la justice d’avancer sur plusieurs affaires sans la précédente pression. Ce déblocage permettra la poursuite d’une démocratisation plus complète et le renforcement de l’Etat de droit. La potentielle exemplarité du processus ne sera sans doute pas du goût de tous les chefs d’Etat, mais les moyens de pressions manqueront aux récalcitrants.
Surtout, la mobilisation de la population, de la société civile, des syndicats, et des partis démocratiques, ont montré à l’Afrique que démocratisation du continent s’accélère dans une période faste. La lutte pour le respect des constitutions initiée au Sénégal, puis au Burkina Faso, en échec au Burundi, confrontée à la répression au Congo Kinshasa, continue. Alors que se finissait la prise d’otage des institutions à Ouagadougou, à Brazzaville, le 27 septembre, pour la première fois depuis 1997, la population bravait la répression et sortait dans la rue[23] pour contester le pouvoir à vie de Sassou Nguesso et s’opposer à la stratégie du coup d’Etat constitutionnel. Gilbert Diendéré et ses complices nageaient à contre-courant de l’histoire du Burkina Faso mais aussi de l’Afrique.
Régis Marzin, Paris, 2 octobre 2015
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[1] BrunoJaffré18.9.15, voir aussi LeMonde18.9.15 etJeuneAfrique17.9.15aveclettreJuge
[3] Source Max Savi carmel, Tribune d’Afrique.
[4] BBC reprisparBurkina 24-19.9.15
[8] Régis Marzin, 29 juillet 2015, Retour sur la présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire, à propos du livre ‘France Côte d’Ivoire une histoire tronquée’ de Fanny Pigeaud,https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/07/29/retour-sur-la-presidentielle-de-2010-en-cote-divoire/
[9] Afrikipresse20.9.15, Lanouvelletribune20.9.15, lavoixdufaso19.9.15
[11] Nordsud24-Ouaga par lemondealenversblog, radioomaga sur netafrique, ofaso, discours complet : NewsAbidjan20.9.15, bayiri5.6.15
[13] Régis Marzin, 4 mai 2015, Togo – Une mascarade électorale de plus ! Une mascarade électorale de trop ? L’injonction paradoxale togolaise, Dossier d’analyse du processus électoral de la présidentielle de 2015 au Togo, au 4 mai 2015. https://regardexcentrique.wordpress.com/2015/05/04/togo-une-mascarade-electorale-de-plus-une-mascarade-electorale-de-trop/
[14] Source Max Savi carmel, Tribune d’Afrique.
[16] Burkina24, plus complet RFI22.9.15
[18] Lettre ouverte des syndicats des magistrats du Burkina sur projet d’accord de la CEDEAO :Burkina24 – 22.9.15
[19] Gilles Thibault, ambassadeur de France : Observateur 28.9.15
[20] Jeune Afrique / Rémi Carayol : 5.11.14
[21] Interview d’Emmanuel Beth par Bruno Fanucchi (re)publié par la Voix du Faso le 24.9.15, http://lavoixdufaso.net/le-general-beth-parle-de-la-crise-burkinabe-il-faut-maintenant-que-les-militaires-passent-la-main-une-interview-de-bruno-fanucchi/, Emmanuel Beth est actuellement dans le conseil privé(ESL & Network)http://www.eslnetwork.com/fr/france/emmanuel-beth
Son frère, l’ancien chef du Commandement des opérations spéciales (COS), le général Frédéric Beth a quitté son poste de directeur de cabinet à la DGSE le 8 juillet 2015 :http://www.lunion.com/505851/article/2015-07-08/ca-bouge-dans-les-armees
[22] Jeune Afrique / Rémi Carayol : 5.11.14