Aveuglé par la persécution politique déguisée en enquête, le gouvernement abandonne les victimes à leur triste sort

Gestion des incendies des grands marchés

Aveuglé par la persécution politique déguisée en enquête, le gouvernement abandonne les victimes à leur triste sort

 

Suite aux incendies survenus dans les grands marchés de Kara et de Lomé et qui ont provoqué la destruction presque totale des bâtiments centraux, le gouvernement semble exclusivement préoccupé par la chasse aux sorcières. L’enquête à orientation criminelle et politique est sa seule préoccupation. Pendant ce temps, les centaines de victimes sont laissées à leur triste sort, à la merci des institutions de crédit qui font ce qu’elles peuvent, selon la logique de « s’endetter pour payer les dettes ».

Beaucoup de bruits pour rien

Peut-être le gouvernement est-il embarrassé et contrarié de ce que les victimes des incendies ne sont pas des explicatrices rurales. Dans ce cas, la ministre en charge du développement à la base leur aurait sans doute déjà apporté son soutien à travers des dons de houes, dabas, machettes et autres casseroles ou bassines. Dans le cas des incendies, ce sont des marchandises de tous ordres : des récipients en matière plastique aux tissus pagnes de grande qualité en passant par les bijoux et les cheveux artificiels. Ce genre de produits ne semble visiblement pas ressortir au champ d’action de la ministre directrice de cabinet.

C’est pour cela que depuis les déclarations tapageuses des lendemains de l’incendie du marché de Kara, les citoyennes et citoyens victimes n’ont pas encore vu ni touché du doigt la nature des promesses faites. Le chef de l’Etat a promis à Kara qu’il fera rebâtir le marché et donnera des indemnités financières aux victimes. A Lomé, sans pouvoir se rendre au grand marché, il a reçu les commerçantes dans la journée du samedi et promis de veiller à ce que les créanciers ne soient pas trop derrière elles. Et puis, plus rien. Quel sort réserve-t-on à tout ce monde ?

On signale aussi en plus de l’offre des institutions de microfinance, Wages notamment, qui a invité les victimes à venir prendre de nouveaux crédits afin de relancer leurs activités, le gouvernement a ouvert au centre hospitalier universitaire Sylvanus Olympio de Lomé une structure spéciale de prise en charge des traumatismes. En ce lieu, les commerçantes et commerçants qui souffriraient de problèmes psychologiques ou psychiques suite aux pertes matérielles et financières dues aux incendies sont attendus pour une prise en charge par des spécialistes. L’initiative est bonne et pertinente certes, mais elle ne suffit pas pour répondre aux attentes des victimes.

Plutôt la chasse aux sorcières

Au moment où les différentes victimes à Kara et à Lomé attendent des actes concrets de la part du gouvernement dans le sens de l’allègement des dommages subis, celui-ci investit une énergie démentielle, à la limite du dopage, pour reprendre une expression du jargon du sport, pour, dit-on, retrouver les auteurs des incendies. C’est à croire que s’il réussissait à identifier les pyromanes, les problèmes créés par les incendies trouveraient systématiquement des solutions. C’est une certitude que, pour les victimes, la question des mesures visant à alléger les dommages est plus importante que toute enquête. Les pyromanes, si on les trouvait, paieront le juste prix de leur forfait après un procès devant les tribunaux. Cependant, aucun procès, aucune condamnation ne saurait constituer une solution aux dommages subis.

Dès lors, c’est sans doute avec impuissance et dépit que les victimes assistent aux sulfureuses polémiques autour de l’enquête du Colonel Yark et du Procureur Poyodi. Elles attendent sûrement que des preuves irréfutables et tangibles leur soient apportées au sujet de la responsabilité des politiciens arrêtés pêle-mêle, sans raison valable. De l’avis de différents observateurs, les victimes des incendies ont perdu, pour la plupart leur latin, face à l’orientation donnée à l’enquête. Que l’on ait pu mettre sous les verrous MM. Adja, Kodjo, Eklou et Madame Nukafu entre autres, aussi facilement, au nom des incendies reste pour eux un objet de grand doute et d’embarras. Comment peuvent-ils croire que les responsables de partis politiques qui aspirent à diriger le pays et qui ne manquent pas d’occasion pour leur promettre monts et merveilles peuvent-ils se donner la largesse de mettre le feu aux marchés ? La question est grande.

Mis de côté cet embarras des victimes, bien d’analystes pensent que, au lieu de réfléchir froidement à la situation et d’apporter les solutions adéquates aux problèmes en instance, le gouvernement a fait le choix de la chasse aux sorcières. La tête baissée, les oreilles bouchées, il diabolise ses adversaires politiques et se permet de confondre la mission de coordination des préparatifs et de la mise en œuvre de l’action politique dénommée « les derniers tours de Jéricho » par le Collectif Sauvons le Togo (CST) à une entreprise criminelle. A y voir de près, il revient aux observateurs que plusieurs militants et responsables politiques arrêtés dans le dossier des incendies le sont simplement parce qu’ils ont été au centre des préparatifs des « derniers tours de Jericho », les uns pour avoir agi comme points focaux, les autres pour avoir été déléguées comme personne – ressource pour prendre contact avec les représentations du CST de Lomé à Dapaong. Pour ces analystes, il est surprenant que, en dépit de toutes ces années d’expérience dans les renseignements et la traque du crime, le Colonel Yark soit incapable de faire la différence entre la préparation d’un crime et l’organisation d’une activité politique officiellement annoncée. Une curieuse enquête aux résultats grotesques qui s’appelle simplement la chasse aux sorcières.

Mieux à faire

Au lieu de s’acharner contre les adversaires politiques, le gouvernement du Togo a intérêt à se consacrer au fond du dossier. Une récupération politique, telle que cela se fait actuellement, n’intéresse personne, ne semble de nature à convaincre qui que ce soit de la responsabilité réelle des interpellés. Dès lors, il faut souhaiter que le bon sens revienne dans la maison et que Faure Gnassingbé et les siens comprennent que l’urgence reste rigoureusement les réponses à apporter aux victimes.

Des analystes pensent qu’une première action ou décision qui aurait dû être prise était de trouver en urgence aux commerçantes et commerçants un nouvel endroit pour reprendre leurs activités. Dans la situation actuelle où les institutions indépendantes de microfinance accordaient de nouveaux crédits à leurs clients, il faut bien un nouvel espace pour qu’ils redémarrent les activités. C’est pour cela qu’on estime que le gouvernement a manqué de pertinence en oubliant ou en se montrant incapable de réfléchir dans ce sens.

Autre chose pour lequel  le pouvoir de Faure Gnassingbé était attendu ; les propositions d’indemnisation ou d’allègement des dommages. A Kara, il semble que le président d’UNIR a abordé le sujet. Face aux victimes de Lomé, il avait plutôt mis l’accent sur l’intervention du gouvernement auprès des institutions de microfinance. Une question : si le gouvernement doit intervenir dans le dossier des incendies, que devrait-il faire en priorité ? Posée sous cette forme aux victimes, elles diront en grand nombre selon toute vraisemblance que la priorité doit être de penser à leur alléger les dommages en les accompagnant par des dotations financières. L’Etablissement Public d’Administration des Marchés (EPAM) ne doit dans ce sens pas rester une simple vache à lait pour les ministres de tutelle et le réseau mafieux qui tourne autour du système. Ses fonds ne peuvent-ils pas servir à cela ?

Tout le monde admet volontiers que les dommages occasionnés par les incendies s’élèvent à des centaines de milliards de F CFA. Ce n’est pas pour cela que le gouvernement ne doit pas envisager la question des indemnisations. Des dépenses folles sont souvent faites aux occasions des marches de soutien ou des campagnes politiques sans que personne trouve à en redire. Dès lors, pourquoi ne pas mettre les ressources financières qu’on mobilise en ces occasions-là au service du bien commun ?

Quoi qu’on dise, si tant est que l’enquête menée tambour battant viserait à montrer aux victimes les auteurs de leurs malheurs, il est indéniable que le gouvernement suscitera plus de reconnaissance en ouvrant le chantier des dédommagements. Dans la mesure du possible. Les marchés ont brûlé, c’est un fait, le trésor public non.

Nima Zara

Le Correcteur N° 410 du 04 février 2013