Au Togo, les dossiers de la terreur au service de la réconciliation
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LIBÉRATION 24 MARS 2015 À 17:06
Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de plusieurs dictatures en Amérique, en Afrique, en Europe et en Asie, les Archives ont été fortement mobilisées comme facteur de catharsis sociale. L’exemple de la Commission vérité, justice et réconciliation du Togo en 2009 (1) est révélateur de ce besoin. C’est ainsi que les commissions vérité, initiées un peu partout dans le monde, se servent des archives comme rempart de protection face aux atrocités du passé. En effet, se réconcilier avec un passé douloureux constitue le premier motif de la mise en place des commissions vérité. Il y a là une dynamique intéressante entre la société et la façon dont elle dialogue avec son passé. Les archivistes rendent ce dialogue possible et veillent, de ce point de vue, à l’adoption d’une approche globale et systématique dans la préservation des archives. Plongé au cœur d’une problématique de réconciliation nationale, l’archiviste devient une pièce maîtresse du mécanisme de la pacification sociale. Les archives de la commission togolaise nous parlent de la douleur et de la souffrance d’une société, il a fallu à l’archiviste faire face à la problématique éthique et déontologique afin de protéger les victimes, et ne pas jeter les bourreaux d’hier à la vindicte populaire. Ce pari est en partie atteint par la mise en place d’une réglementation stricte sur l’accès. Ce que nous fîmes sans trop de difficultés. Une autre question aussi essentielle est la situation à laquelle la commission vérité togolaise se trouve confrontée, qui est relative aux rapports entre histoire et mémoire.
Il ressort des conclusions du rapport soumis au chef de l’Etat togolais, que les origines de la crise multiforme, ayant conduit à l’instabilité du Togo, ont pour cause les dissensions éthiques internes entre le nord et le sud du pays, favorisées par la politique allemande puis exacerbées par la France, les rapports heurtés avec le Ghana, qui ne voyait pas d’un bon œil l’idéologie ewe (2), et enfin la part prépondérante de l’irruption de l’armée dans l’histoire des violences politiques au Togo avec l’onction de la France.
Les tensions politiques entre 1958 et 1960 n’ont fait que s’aggraver avec l’accession à l’indépendance. C’est ainsi que juste un an après la célébration de l’indépendance, le gouvernement connaît plusieurs tentatives de déstabilisation. Pas moins de trois coups d’Etat avortés rien qu’au cours de 1961 (avril, mai, décembre). Le Ghana, qui se méfiait de l’idéologie ewe donne gîte et couvert aux opposants du régime. En outre, les projets économiques et les initiatives monétaires du nationaliste Sylvanus Olympio, premier président du Togo de 1961 à 1963, sont autant d’actes d’indélicatesse aux yeux de Paris. Pour Sylvanus Olympio, le développement économique véritable de tout pays exige comme préalable la souveraineté en matière monétaire. Pour y parvenir, il décide «de battre, hors du carcan français, une monnaie qui bénéficierait de la garantie du deutsche mark». C’est dans ce contexte politique tendu, doublé d’une crise économique, qu’un groupe de soldats du rang et de sous-officiers, dont Gnassingbé Eyadéma, qui dirigera le pays de 1967 à sa mort en 2005, composé en majorité de démobilisés d’Algérie ou d’anciens d’Indochine, demande à être intégré à la compagnie de 150 hommes constituant l’embryon de l’armée togolaise. Sylvanus Olympio, soucieux de l’équilibre budgétaire, oppose une fin de non-recevoir, et rétorque aux soldats «tandis que nous luttions pour l’indépendance, vous massacriez les nationalistes algériens». Ces facteurs ont fini par provoquer son assassinat le 13 janvier 1963, lors du coup d’Etat fomenté par Gnassingbé Eyadéma, et ouvert l’ère d’une histoire tourmentée dont le Togo cherche encore à sortir.
Une lecture croisée des archives du Togo et celles de Jacques Foccart apporterait sans doute un éclairage sur l’histoire des relations entre la France et le Togo. Mais également une compréhension de la politique d’influence de la France dans la sous-région. La visite de Gnassingbé Eyadéma a l’Elysée, huit mois seulement après avoir pris le pouvoir par la force, témoigne de la tolérance sinon de la bénédiction du général de Gaulle. En outre, les archives des séjours de Foccart à Lomé dans le cadre de la préparation des visites officielles des chefs français ont autant de choses a nous dire.
(1) Les travaux de la commission ont couvert les exactions contre les droits de l’homme commises entre 1958 et 2005. Le Togo est devenu indépendant le 27 avril 1960.
(2) Population vivant principalement au Ghana et en partie Togo et qui luttait contre la partition de son territoire.