Les discussions entre l’opposition parlementaire et le gouvernement ont repris mardi dernier après une suspension de quelques jours à la suite de la publication simultanée de deux rapports de la Commission Nationale des Droits de l’Homme – CNDH- sur les allégations de torture à l’ANR – Agence Nationale de Renseignements-. Le dialogue entre le pouvoir et les partis de l’opposition parlementaire que sont l’ANC et le CAR semble redémarré dans une atmosphère de suspicions et de méfiance. Comme le chat échaudé craint l’eau froide, Jean-Pierre Fabre de l’ANC et Me Apévon Dodji du CAR sont encore marqués par les précédentes rencontres dont les engagements ont été rangés dans les placards du Palais de la Marina. Mais les signaux indiquent que le pouvoir est dos au mur et qu’il est plus que jamais temps pour que l’opposition obtienne les réformes essentielles avant les prochaines élections législatives et locales.
Le pouvoir a fini par céder
C’est du moins ce que l’on peut dire à l’annonce de la rencontre entre le pouvoir, représenté par le premier ministre, Gilbert Houngbo et le Secrétaire Général du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), Esso Solitoki, et l’opposition parlementaire conduite par Jean-Pierre Fabre, président National de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) et Me Dodji Apévon du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR). Pendant plus de deux années, le régime a joué au dilatoire en entretenant la comédie du CPDC rénové. Le Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation qui se veut un espace sérieux de discussions entre le pouvoir et l’opposition a été recomposé avec la cooptation de partis politiques non représentatifs et de syndicalistes indélicats. L’ANC et le CAR ont vite flairé le piège et ont dit niet à l’invitation du gouvernement à prendre part aux travaux de ce CPDC rénové. La suite leur a donné raison. Au cours de longs mois de travaux, rien de concret n’a été fait et les points essentiels sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles ont été abordés avec une légèreté déconcertante.
L’ANC et le CAR avaient clairement exprimé leur volonté de s’assoir autour de la table avec le pouvoir pour discuter sur les pré-requis et les réformes institutionnelles et constitutionnelles à engager. Les deux partis de l’opposition ont posé leurs exigences pour la transparence et l’équité des élections futures. Ils conditionnent leur participation aux prochaines échéances électorales à la mise en œuvre de ces réformes. Puisque le pouvoir RPT ne voulait pas aborder ces sujets avec les personnes indiquées, il s’était obstiné à entretenir la comédie du CPDC rénové avec les partis « microscopiques » et les syndicalistes militants. Il a fallu l’arrivée de la mission d’évaluation de l’Union Européenne pour que le régime décide à prendre la voie de la raison.
Dans la semaine du 17 février, une mission d’experts électoraux de l’Union Européenne avait séjourné dans le pays pour l’évaluation des recommandations sur les précédentes élections qui ont eu lieu dans le pays. L’UE avait financé et observé les législatives de 2007 et la présidentielle de mars 2010. Ses missions d’observation avaient fait des recommandations au Togo pour améliorer le cadre électoral lors des échéances électorales à venir. Les experts électoraux européens étaient donc dans nos murs pour savoir si les autorités ont mis en œuvre lesdites recommandations. La mission a tour à tour reçu les représentants du gouvernement, les responsables des partis de l’opposition, les responsables des Organisations de Défense des Droits de l’Homme. Il ressort que le pouvoir a mis tout ce qui lui a été recommandé dans les tiroirs. L’UE aurait sommé le pouvoir de mettre en application les recommandations et d’entamer un dialogue franc avec l’opposition représentatif sous peine de suspendre le financement des législatives et locales de cette année. C’est alors que le gouvernement a convié l’ANC et le CAR pour un dialogue quadripartite.
A peine entamé, le dialogue suspendu pour faux rapport de la CNDH
C’est le Premier ministre Gilbert Houngbo qui a reçu à son cabinet les délégations des trois principaux partis de la scène politique togolaise le 20 février dernier. Le RPT, parti au pouvoir était représenté par son secrétaire général le ministre Solitoki Esso et celui de l’Administration Territoriale et des Collectivités locales Pascal Bodjona. Jean-Pierre Fabre, le président national de l’ANC était accompagné par son vice-président, Patrick Lawson pendant que Me Dodji Apévon du CAR avait à ses côtés le Secrétaire Général du parti Jean Kissi et le président d’honneur Me Yawovi Agboyibo. Les discussions avaient à peine commencé quand surgissent l’affaire de la publication simultanée de deux rapports de la CNDH et l’incarcération de quatre étudiants de l’Université de Kara. Le lendemain, mardi 21 février, le CAR et l’ANC ont demandé la suspension des travaux et exigé les clarifications sur l’existence des deux rapports de la CNDH et les allégations de torture et de la disparition du président de la CNDH.
Le gouvernement s’était rendu compte du tollé suscité par la publication des deux rapports de la Commission Nationale des Droits de l’Homme sur les allégations de tortures à l’Agence Nationale des Renseignements –ANR- perpétrées sur les personnes détenues dans l’affaire Kpatcha Gnassingbé. Au cours du procès de Kpatcha Gnassingbé et co-accusés dans l’affaire de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat d’avril 2009 certains détenus avaient fait état de tortures subies au cours de leur détention. A la fin des assises, le président de la Cour Suprême avait alors demandé qu’une enquête soit menée sur ces allégations. Des investigations menées par la CNDH, il ressort qu’il y a bel et bien eu tortures. Le rapport final remis au ministre de la Justice par le président de la CNDH mettait clairement en cause certaines personnalités du régime et pour protéger ces derniers, le régime a eu recours à une de ces méthodes : le faux et l’usage de faux. Le rapport aurait donc été charcuté et travesti. Le faux rapport a été publié sur le site officiel de la primature. le Président de la CNDH, Koffi Kounté aurait réussi à se mettre à l’abri en France et a publié sur le site de son institution le rapport authentique. Les autorités ayant constaté la méprise ont pris acte du vrai rapport. Le dialogue avec l’opposition parlementaire pouvait donc reprendre.
Le mardi 28 février dernier, les discussions ont repris à la primature et à l’ordre du jour le dossier du rapport de la CNDH. Le gouvernement a donné des clarifications sur le rapport authentique de la CNDH. Le CAR et l’ANC ont quant à eux exprimé leur insatisfaction sur les explications données par le gouvernement sur le premier rapport. Ils ont demandé au gouvernement plus d’éclaircissements sur le faux rapport et ses auteurs et demandé que les recommandations soient mises en œuvre.
Le mercredi 29 février, l’ANC a sorti un communiqué dans lequel il réitère sa demande de clarifications sur l’origine du faux rapport. Il exige que les auteurs et commanditaires de ce délit soient identifiés et traduits en Justice. Le parti a par ailleurs réclamé que les auteurs des actes de torture soient sanctionnés conformément aux recommandations du rapport de la CNDH.
Au-delà de l’affaire de la CNDH, l’opposition est appelée à aller à l’essentiel
C’est une bonne chose de constater que les Organisations de Défense des Droits de l’Homme ont pris sur elles la charge de mener la lutte dans cette affaire de tortures à l’ANR. Tout en apportant leur soutien à ces organisations, le CAR et l’ANC doivent être actifs sur le terrain des réformes politiques et de l’amélioration du cadre électoral. Cette affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat qui a conduit à l’arrestation de Kpatcha Gnassingbé a pour principaux protagonistes les deux fils de Gnassingbé, clan bénéficiaire des différents hold-up électoraux survenus.
Les législatives sont prévues dans six mois. Et le pouvoir pourrait jouer la carte du temps pour mettre l’opposition devant le fait accompli si les réformes ne sont pas faites pour la transparence du scrutin. Les réformes à mener concernent le découpage électoral, le fichier électoral, le mode de scrutin et la refonte de la CENI. Jean-Pierre Fabre, Me Apévon Dodji et compagnie gagneraient à aller à l’essentiel s’ils ne veulent plus assister à la surprise des législatives d’octobre 2007 qui a permis au RPT d’être majoritaire au parlement avec moins de voix que l’opposition.
Sam Gagnon
Le Correcteur N° 325 du 02 mars 2012