Réformes / Atelier du HCRRUN
De la nécessité de rendre publiques les conclusions et recommandations
La question des réformes constitutionnelles et institutionnelles de l’Accord politique global (APG) reste la préoccupation majeure de la classe politique. Après l’atelier du millénaire sur cette problématique organisé par le Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN), tous les regards sont tournés depuis vers un seul homme, Faure Gnassingbé à qui les conclusions et recommandations auraient été remises « symboliquement ». A en croire les responsables du HCRRUN, il aurait été très enthousiasmé lors de la remise du rapport. Mais qu’est-ce qui en sortira ? Voilà toute l’énigme.
Indécision sur le sort des réformes
La tenue de l’atelier du 11 au 16 juillet derniers a donné des impressions mitigées. C’est avec extase que certains participants ont apprécié les travaux, balayant carrément tout doute sur la suite des conclusions et recommandations. Ils n’avaient pas manqué d’égratigner les boycotteurs. Mais à côté, certains acteurs ayant participé aux travaux ont exprimé des réserves et leurs inquiétudes sur le sort des conclusions et recommandations.
Au-delà des réactions des uns et des autres, il y a bien une indécision sur le sort réservé aux prescriptions issues des travaux. Personne ne peut gager que les conclusions et recommandations seront mises en œuvre, au regard de la mauvaise foi du pouvoir RPT/UNIR et de son champion sur cette problématique des réformes. Une autre illustration, c’est l’indifférence à la proposition de loi introduite par le couple ANC-ADDI. Dans deux jours, il y aura exactement un mois qu’elle est déposée à l’Assemblée nationale. Mais Dieu sait si elle est déjà programmée pour passer devant la Commission des lois. Aucune nouvelle en tout cas sur la tenue de discussions là-dessus ou d’évolution du dossier.
C’est dans l’indécision de l’avenir que la Plateforme citoyenne Justice et Vérité a lancé un appel à l’endroit de Faure Gnassingbé afin qu’il donne suite aux conclusions. Dans une déclaration en date du 20 juillet, cette coalition de la société civile togolaise regroupant des organisations de jeunes, de femmes, des syndicats, des médias, des organisations de défense des droits de l’homme et des personnalités indépendantes l’a encouragé à saisir l’opportunité du consensus et de la sérénité retrouvée durant l’atelier organisé par le HCRRUN pour « accélérer la nomination des membres de la Commission chargée de proposer les réformes politiques et institutionnelles utiles pour la stabilité et la prospérité du pays ». Et à l’endroit des autres acteurs politiques, elle réclame davantage d’engagement « citoyen » et un dialogue perpétuel, car « les réformes constituent un processus itératif inhérent à la nature de toute organisation afin de garantir sa survie et son efficacité ».
Drôle d’accueil enthousiaste chez Faure Gnassingbé
On savait déjà que les conclusions et recommandations issues des travaux devraient être remises exclusivement à Faure Gnassingbé, mais l’autre inquiétude concernait l’accueil qu’il devrait leur réserver. Mais plus de peur que de mal. Joie et enthousiasme, c’est avec ces sentiments qu’il les aurait accueillies. C’est en tout cas ce qu’a relevé le 2e Rapporteur du HCRRUN, Claudine Akakpo Kpondzo-Ahiannyo, vendredi dernier lors d’une intervention médiatique.
A en croire Mme Kpondzo-Ahianyo qui fait pratiquement office de porte-parole du HCRRUN, le rapport des travaux de l’atelier a été remis au chef de l’Etat. On parle d’une remise symbolique et privée devant être suivie plus tard d’une autre plus officielle. Et selon ses déclarations, Faure Gnassingbé aurait beaucoup apprécié les conclusions et recommandations. « Depuis Kigali, il suivait de très près les travaux et à son retour, un rapport lui a également été fait par ses proches collaborateurs », a déclaré l’interlocutrice. « La remise symbolique et privée, cela veut dire quoi ? Qu’est-ce qui manque pour la remise officielle? Et la remise officielle sera faite un an après? Ils attendent quoi ? Ils attendent l’arrivée de Jésus ? Mais on est où la? Vraiment, ça frise le ridicule. A chaque fois que les projecteurs sont braqués sur le Togo, les résultats sont décevants. Apres tous ces tapages médiatiques, la remise symbolique !!! », a pesté un concitoyen.
On est tenté de la croire sur parole qu’effectivement, Faure Gnassingbé a bien accueilli favorablement le rapport final des travaux. Mais il est permis de douter lorsqu’elle laisse entendre que depuis la capitale rwandaise, le numéro 1 togolais suivait de très près les travaux, d’autant plus que l’atelier a refermé ses portes dans l’après-midi du vendredi 15 juillet ; et c’était dans cette soirée qu’il quittait Lomé pour rallier Kigali pour le 27e sommet de l’Union africaine (UA). Et les travaux de cette rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement du continent n’ont eu lieu que les samedi 16 et dimanche 17 juillet. Soit elle a menti, soit elle avait juste un petit trou de mémoire avant de faire ces déclarations. S’agissant de l’intérêt allégué aux travaux de l’atelier, il est permis de le mettre aussi en doute car lors de leur lancement le lundi 11 juillet, le Prince que le commun des Togolais attendait à Radisson Blu Hôtel, a préféré se rendre à Niamey pour le sommet de résurrection du Conseil de l’Entente dont il prendra la présidence. Et de retour au pays, il a préféré passer toute la semaine à suivre les Evala et n’a non plus trouvé nécessaire de venir clôturer solennellement les travaux. Drôle d’intérêt donc à l’atelier du HCRRUN et subséquemment, à ses conclusions.
Rendre publiques les conclusions, éviter tout tripatouillage
Depuis la clôture de l’atelier, tous les regards étaient tournés vers Faure Gnassingbé. A raison, car il était attendu que les conclusions et recommandations lui soient adressées personnellement. Et selon les responsables du HCRRUN, c’est chose faite depuis son retour de Kigali. Il semble qu’il est attendu encore une remise officielle. D’ailleurs sur cette question des réformes, c’est lui qui est au contrôle, a toutes les manettes en main et peut orienter les choses à sa guise.
C’est au nom des Togolais que l’atelier a été organisé et les participants ont discuté des réformes constitutionnelles et institutionnelles réclamées par tous. C’est le contribuable qui va payer la facture. Mais malheureusement, les Togolais ne connaissent pas le contenu du rapport final, les conclusions et recommandations sont entourées d’un secret d’Etat. Et cette situation devrait visiblement durer davantage, puisqu’il n’est pas prévu de les rendre publiques de si tôt. En tout cas, selon ce qui est arrêté, elles devraient être reversées à la fameuse commission d’universitaires et autres intellectuels qui devront encore plancher là-dessus. Quelle sera exactement leur tâche ? Personne ne le sait, sauf Faure Gnassingbé. Connaissant la mentalité du pouvoir, certains redoutent même un éventuel tripatouillage du rapport. Cela peut paraitre farfelu, mais cette appréhension est légitime lorsqu’on se rappelle le sort subi par le rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) en février 2012. Ce rapport qui avait conclu noir sur blanc à l’existence des tortures alléguées par les victimes dans le dossier Kpatcha Gnassingbé a été traficoté par les « sécurocrates » qui avaient même usé de menaces sur le président de l’institution d’alors, Koffi Kounté.
Il urge, au demeurant, que les conclusions et recommandations de l’atelier du HCRRUN soient rendues publiques. D’ailleurs beaucoup de Togolais restent sceptiques sur la mise en œuvre des réformes par Faure Gnassingbé. « Le 20 août 2006, en présence du Facilitateur et devant un auditoire attentif, Faure Gnassingbé avait pris l’engagement solennel de mettre en application l’APG. Le 3 avril 2012, après 3 années de travail, le président de la CVJR, Mgr Barrigah remet au chef de l’Etat son rapport. Le 22 juillet 2016, nous apprenons que le HCRRUN a remis au chef de l’Etat les conclusions de son atelier. Que va t-il se passer maintenant ? Combien de temps prendra la réflexion de Faure Gnassingbé? », s’interroge un compatriote sur la toile. Le Prince va-t-il surprendre agréablement son monde ? C’est le wait and see.
Tino Kossi
Liberté N° 2242 du mardi 26 juillet 2016