Apologie du tribalisme au Togo

Apologie du tribalisme au Togo

Charles Kondi Agba : « Depuis quand les Kabyè font grève ? »

La réacrion énergique d’Emmanuel Kakou, le 3ème Vice-président de l’ANC

Le tribalisme, le régionalisme et le clanisme sont devenus de nos jours pour le Rpt, des moyens incontournables de conservation du gâteau national. Durant la grève qui a secoué les hôpitaux togolais, le nouvel ancien ministre de la Santé Charles Kondi Agba a fait, selon les témoins, une déclaration qui n’honore pas sa personnalité et qui montre l’étendue du problème.  Emmanuel Kakou, le 3ème Vice-président de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), dans son intervention samedi dernier au meeting du Frac, est revenu sur ces propos de Kondi Agba et a  dressé un diagnostic inquiétant  de ce cancer qui, si rien n’est fait, risque d’emporter la nation togolaise dans les abîmes d’une confrontation ethnique.  Voici ce qu’il a déclaré au cours de cette rencontre. Lecture.

Aujourd’hui je m’en vais soulever un problème que nous vivons dans ce pays, il s’agit du  tribalisme. La semaine passée, pendant que les gens de la santé faisaient la grève, le ministre Kondi Agba  inaugure son entrée à la tête de ce département en interpellant le Dr Walla en ces termes:  « depuis quand les Kabyè font la grève ? ». Tout le monde a été aussi foudroyé et une femme qui est conseillère de leur syndicat,  Mme Alpha, a passé cinq bonnes minutes à pleurer, et la séance a été suspendue pendant les cinq  minutes. Ça c’est un cas. Je soulève un deuxième cas. Lorsqu’on envoie les gendarmes pour nous gazer, on déduit que tous sont des Kabyè. Vous savez pourquoi ? Puisque pour entrer en action, le Commandant s’exprime en kabyè. Ce qui voudrait alors dire que ce sont les Kabyè qui sont contre le changement, et pour cela, il faut seulement envoyer les Kabyè pour mener la répression. Mais je voudrais vous dire ceci: nous devons faire très attention pour ne pas tomber dans ce piège en croyant que tous les Kabyè sont comme ça. La preuve, les pleurs de Mme Alpha en disent long. Elle ne pouvait pas répliquer négativement devant son ministre, c’est pourquoi elle s’est mise à pleurer pour dire que  c’est dommage qu’un ministre pense qu’un Kabyè ne puisse pas faire grève pour défendre ses droits.

Je vais vous donner un exemple que moi-même j’ai vécu en 1991. Le 11 décembre à 11 heures de la nuit, on frappe à ma porte: « Proviseur dépêche-toi de sortir avec l’essentiel ». Je regarde, c’est un parent à moi. Je prends tout juste mon sac dans lequel j’ai tous mes documents. Il me dépose à Sokodé à minuit, j’ai trouvé un véhicule à 4 heures du matin et le 12 décembre j’étais à Lomé.  Le 12 à 18 heures, ma famille que j’avais abandonnée a  été prise par les jeunes militants du Rpt avec  la consigne formelle de tuer le Proviseur. Ils demandent à ma femme de révéler ma cachette, elle leur dit qu’elle ne savait pas où j’étais. « Nous-mêmes ce matin nous ne l’avons pas encore vu, nous ne savons pas ce qu’il est devenu », leur a-t-elle dit. En conclusion, on lui demande de savoir où je garde mes documents. C’est donc pour bruler toutes mes pièces. Ma femme leur dit également qu’elle ne savait pas où je garde mes documents. On a tout fouillé. N’ayant rien trouvé, il fallait casser tout ce qui se trouvait dans mon salon. Ce sont des Kabyè qui traitent un Kabyè comme ça. Je suis  Kabyè 100%, je suis de Lama.

J’avais dit que c’était le 12 décembre à 4 heures du matin que je suis arrivé ici. Puisque mon domicile se situe à Adidogomé, je devais venir à Lomé signaler ma présence à la Direction  du 3ème dégré comme quoi, j’ai abandonné mon poste pour raison de sécurité et que je me réfugie à Lomé. Mais au bord de la route, quand j’arrête un taxi, dès que le conducteur  voit mes balafres,  il ne s’arrête pas. J’arrête un autre, dès qu’il  voit mes balafres, il s’en va. J’ai fait près de  30 minutes, tous les taxis passaient et me laissaient. Enfin, quelqu’un a eu la gentillesse de me transporter. Malheureusement pour lui, dès que nous arrivons à Attikoumé, un passager qui voulait monter, me voit et s’écrie : « ohhh miatôwo, wo gbaléfiyéa !! », (ohhh mes chers amis, ils sont partout ces Kabyè !).

Je vous relate ce qui s’est passé  en 1991, et avant mon aventure, je sais qu’à Lomé ici, il y a eu une chasse aux Kabyè. J’en sais quelque chose. C’est également en 1991 que vous avez entendu dans les Plateaux, le problème de Bodjé. Les pauvres paysans qui vivaient là-bas en parfaite symbiose avec les autochtones         Ewé, on ne sait quelle mouche les a piqués, il y a eu des règlements de compte et les Kabyè en sont morts. Ils ont été expulsés de ce milieu. A l’époque, Eyadema était au pouvoir,  ces Kabyè avaient cru que quelque chose allait se passer en leur faveur. Tout juste on  a amené des véhicules militaires, ils étaient contents, je ne sais pas ce qu’ils espéraient, juste le temps de les déposer au camp militaire de Témédja et là, ils ont fait deux, trois jours, ils attendent, d’autres meurent de faim. En conclusion, on leur dit de se débrouiller pour rejoindre la Kozah, leur lieu de provenance, et avec quoi ?

Lorsque nous déduisons facilement en essayant de confondre un individu à son ethnie, c’est ce à quoi on aboutit. J’ai relaté ceci pour vous montrer la gravité des propos de Kondi Agba dans l’affaire du Dr Walla: « depuis quand les Kabyè font grève ?».

Jeudi dernier, lorsqu’on poursuivait nos manifestants, les instructions étaient données aux Gendarmes en kabyè. Lorsque vous attendez cela, qu’est-ce que vous pensez ? C’est dire que ce sont les Kabyè qui sont contre l’avènement de la démocratie au Togo. Mais je suis Kabyè, suis-je contre la démocratie ? Je vous dis que l’écrasante majorité des Kabyè sont comme moi, ils sont pour la démocratie. Les suffrages exprimés dans la Kozah lors des élections dans la Kozah en disent long.  Les résultats qu’on vous proclame, que vous entendez sur les médias, ils sont faux. Nos délégués nous le disent, nos amis nous le disent, nos sympathisants nous le disent. Je le dis pour que nous sachions que dans cette petite bande de terre qui s’appelle le Togo en Afrique de l’Ouest, nous ne sommes qu’autour de  42 ethnies. Vous savez combien il y en a en Côte d’Ivoire ? Plus de 200! Vous savez combien il y en a en RDC ? Plus de 400 ! Pendant tout son règne, savez de quelle ethnie était Mobutu ? Oui, c’est parce que nous ne sommes pas nombreux au Togo qu’on sait que Eyadema, lui, est Kabyè et que ses  frères sont Kabyè. C’est pour vous dire tout simplement, mes chers amis, de ne pas se tromper de cible. Il y a des gens qui profitent de cette situation pour prendre leurs frères en otage. Et alors je m’adresse à mes jeunes frères militaires, gendarmes, policiers qu’ils sachent qu’on les exploite, qu’ils sachent qu’on les trompe. La preuve, lorsqu’on a augmenté le prix du carburant, y a-t-il eu une autre mesure pour dire qu’exception faite aux Kabyè lorsqu’ils se déplacent ? Ça frappe tout le monde. Lorsqu’on prend une mesure au niveau du gouvernement, c’est tous les Togolais qui sont concernés non ? Donc à partir d’aujourd’hui, il n’y a plus question de croire que les Kabyè sont pour le pouvoir ; donc ce qui ne marche pas dans ce pays, tous les Kabyè en  sont responsables. Je vous dis que c’est faux, et dorénavant, changez de mentalité.

Lorsque vous voulez que quelqu’un comprenne votre message, exprimez-vous dans sa langue, là vous saurez qu’il vous a réellement compris.

Je m’en vais aborder le problème des droits de l’Homme. Chez nous ici, lorsqu’il y a violation des droits de l’Homme, rien n’est fait. Le zélé qui a cassé le bras de ce jeune homme jeudi dernier, je vous parie que d’ici quelques jours, il va monter en grade. C’est parce qu’il a réussi à casser le bras d’un jeune contestataire.

Prenons l’exemple de Titikpina. Lorsque nous faisions nos manifestations, Titikpina a excellé de zèle dans les tirs de gaz. Conclusion, il est monté Général de brigade et a été nommé Chef d’Etat-major des armées togolaises. Avez-vous vu  ça ? C’est ce qui se passe au Togo.

Mais ces derniers jours, vous avez certainement entendu ce qui se passe en RDC. Des officiers supérieurs de l’Armée sont condamnés à mort pour avoir tué Floribert Chebeya, ardent défenseur des droits de l’Homme. Ceux qui l’ont tué, on a décidé de les tuer. Leurs complices sont condamnés à perpétuité. Mais si c’était chez nous ici, eh bien ce sont des gens qui monteraient en grade. C’est contre des choses comme ça que nous marchons tous les samedis et les jeudis. Celui qui est d’accord, il marche; celui qui n’est pas d’accord, ça fait son affaire; nous, nous continuons. Nous savons que ce pouvoir n’en a plus pour longtemps. Aucun parti n’a duré éternellement au pouvoir. Demain, c’est peut-être l’Anc qui va diriger ce pays. Et alors, vous direz à vos enfants et petits fils que chaque samedi, vous marchiez pour demander la démission de Faure.  Le petit fils vous demandera peut-être de savoir qui est Faure, et vous lui répondriez : « c’était le fils de Gnassingbé Eyadema qui a succédé à son père et c’est nous qui l’avons renvoyé du pouvoir».

Propos transcrits par Olivier Adja

Liberte N°996 du mardi 28 juin 2011